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parties qui n’en mettent aucune dans leur attaque, qui foulent aux pieds le juste et l’injuste, qui avancent et nient avec la même impudence, et qui ne rougissent ni des imputations, ni des soupçons, ni de la médisance, ni de la calomnie, il est difficile de l’emporter, surtout à des tribunaux, où l’habitude et l’ennui des affaires ne permettent presque pas qu’on examine avec quelque scrupule les plus importantes ; et où les contestations de la nature de la mienne sont toujours regardées d’un œil défavorable par l’homme politique, qui craint que, sur le succès d’une religieuse réclamant contre ses vœux, une infinité d’autres ne soient engagées dans la même démarche : on sent secrètement que, si l’on souffrait que les portes de ces prisons s’abattissent en faveur d’une malheureuse, la foule s’y porterait et chercherait à les forcer. On s’occupe à nous décourager et à nous résigner toutes à notre sort par le désespoir de le changer. Il me semble pourtant que, dans un État bien gouverné, ce devrait être le contraire : entrer difficilement en religion, et en sortir facilement. Et pourquoi ne pas ajouter ce cas à tant d’autres, où le moindre défaut de formalité anéantit une procédure, même juste d’ailleurs ? Les couvents sont-ils donc si essentiels à la constitution d’un État ? Jésus-Christ a-t-il institué des moines et des religieuses ? L’Église ne peut-elle absolument s’en passer ? Quel besoin a l’époux de tant de vierges folles ? et l’espèce humaine de tant de victimes ? Ne sentira-t-on jamais la nécessité de rétrécir l’ouverture de ces gouffres, où les races futures vont se perdre ? Toutes les prières de routine qui se font là, valent-elles une obole que la commisération donne au pauvre ? Dieu qui a créé l’homme sociable, approuve-t-il qu’il se renferme ? Dieu qui l’a créé si inconstant, si fragile, peut-il autoriser la témérité de ses vœux ? Ces vœux, qui heurtent la pente générale de la nature, peuvent-ils jamais être bien observés que par quelques créatures mal organisées, en qui les germes des passions sont flétris, et qu’on rangerait à bon droit parmi les monstres, si nos lumières nous permettaient de connaître aussi facilement et aussi bien la structure intérieure de l’homme que sa forme extérieure ? Toutes ces cérémonies lugubres qu’on observe à la prise d’habit et à la profession, quand on consacre un homme ou une femme à la vie monastique et au malheur, suspendent-elles les fonctions animales ? Au con-