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« Sœur Suzanne, déshabillez-vous, et prenez ce vêtement… » J’obéis en sa présence ; cependant elle était attentive à tous mes mouvements. La sœur qui avait apporté mes habits, était à la porte ; elle rentra, emporta ceux que j’avais quittés, sortit ; et la supérieure la suivit. On ne me dit point la raison de ces procédés ; et je ne la demandai point. Cependant on avait cherché partout dans ma cellule ; on avait décousu l’oreiller et les matelas ; on avait déplacé tout ce qui pouvait l’être ou l’avoir été ; on marcha sur mes traces ; on alla au confessionnal, à l’église, dans le jardin, au puits, vers le banc de pierre ; je vis une partie de ces recherches ; je soupçonnai le reste. On ne trouva rien ; mais on n’en resta pas moins convaincu qu’il y avait quelque chose. On continua de m’épier pendant plusieurs jours : on allait où j’étais allée ; on regardait partout, mais inutilement. Enfin la supérieure crut qu’il n’était possible de savoir la vérité que par moi. Elle entra un jour dans ma cellule, et me dit :

« Sœur Suzanne, vous avez des défauts ; mais vous n’avez pas celui de mentir ; dites-moi donc la vérité : qu’avez-vous fait de tout le papier que je vous ai donné ?

— Madame, je vous l’ai dit.

— Cela ne se peut, car vous m’en avez demandé beaucoup, et vous n’avez été qu’un moment au confessionnal.

— Il est vrai.

— Qu’en avez-vous donc fait ?

— Ce que je vous ai dit.

— Eh bien ! jurez-moi, par la sainte obéissance que vous avez vouée à Dieu, que cela est ; et malgré les apparences, je vous croirai.

— Madame, il ne vous est pas permis d’exiger un serment pour une chose si légère ; et il ne m’est pas permis de le faire. Je ne saurais jurer.

— Vous me trompez, sœur Suzanne, et vous ne savez pas à quoi vous vous exposez. Qu’avez-vous fait du papier que je vous ai donné ?

— Je vous l’ai dit.

— Où est-il ?

— Je ne l’ai plus.

— Qu’en avez-vous fait ?