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et Carite s’aperçoivent trop tard de leur imprudence. On les saisit, on les embarque, et les voilà exposés à de nouvelles infortunes qu’on verra dans le troisième livre.

Ce second est plein d’événements sans intérêt et sans vraisemblance. Un prince qui devient amoureux d’une gardeuse de troupeaux ; une fille qui se sauve en chemise la nuit, à travers les forêts ; un amant qui se retrouve seul avec elle, à point nommé sur le rivage pour la secourir. Je ne saurais digérer cela. Et puis il y a là dedans une symétrie qui me déplaît. C’est toujours le sort qui les unit et qui les sépare, et cela dix à douze fois de suite. Je ne lis jamais de ces choses-là que je ne me rappelle le poëte-curé du Mont-Chauvet, qui disait qu’il n’y avait rien de si facile que de conduire une pièce de théâtre, pourvu qu’on sût compter par ses doigts jusqu’à cinq ; que selon qu’on voulait que David couchât ou non avec Bethsabée, il n’y avait qu’à dire au premier doigt : David couchera ou ne couchera pas avec Bethsabée ; et aller depuis le pouce jusqu’au petit doigt où David couche ou ne couche pas, selon que le poète en a décidé. Et il y a de plus grands clercs que le curé du Mont-Chauvet qui ne font pas autrement sans s’en douter[1].


TROISIÈME LIVRE.


Les pirates sont séparés par une tempête. Le vaisseau qui portait Polydore fait voile pour Sestos. Polydore est exposé sur la place publique avec d’autres esclaves. Un vieillard appelé

  1. L’abbé Petit, curé du Mont-Chauvet, en Basse-Normandie, est un type qui n’est point oublié dans la Correspondance littéraire de Grimm. L’histoire de ses tragédies s’y trouve sous la date du 1er août 1755. La première, David et Bethsabée, imprimée à Rouen sous la fausse indication : Londres, en 1754, in-12, fut lue par l’auteur devant un nombreux aréopage dont Rousseau faisait partie, chez le baron d’Holbach. Le pauvre homme avait émis la théorie ci-dessus et avait commencé sa lecture, lorsque « Rousseau se lève comme un furieux, et, s’élançant vers le curé, il prend son manuscrit, le jette à terre et dit à l’auteur effrayé : « Votre pièce ne vaut rien, votre discours est une extravagance ; tous ces messieurs se moquent de vous ; sortez d’ici, et retournez vicarier dans votre village… » — Nous n’achèverons pas la scène, qu’on voit d’ici ; elle a été publiée par Cerutti dans une Lettre sur quelques passages des Confessions. (Journal de Paris, 2 décembre 1789, et Esprit des Journaux, janvier 1790.)