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la honte, au déshonneur et aux lois. Ce sont des dissonances dans l’harmonie sociale qu’il faut savoir placer, préparer et sauver. Rien de si plat qu’une suite d’accords parfaits ; il faut quelque chose qui pique, qui sépare le faisceau, et qui en éparpille les rayons.

moi.

Fort bien ; par cette comparaison vous me ramenez des mœurs à la musique, dont je m’étais écarté malgré moi, et je vous en remercie, car, à ne vous rien celer, je vous aime mieux musicien que moraliste.

lui.

Je suis pourtant bien subalterne en musique, et bien supérieur en morale.

moi.

J’en doute ; mais quand cela serait, je suis un bon homme, et vos principes ne sont pas les miens.

lui.

Tant pis pour vous. Ah ! si j’avais vos talents !

moi.

Laissons mes talents, et revenons aux vôtres.

lui.

Si je savais m’énoncer comme vous ! Mais j’ai un diable de ramage saugrenu, moitié des gens du monde et de lettres, moitié de la Halle.

moi.

Je parle mal ; je ne sais que dire la vérité, et cela ne prend pas toujours, comme vous savez.

lui.

Mais ce n’est pas pour dire la vérité, au contraire, c’est pour bien dire le mensonge que j’ambitionne votre talent. Si je savais écrire, fagoter un livre, tourner une épître dédicatoire, bien enivrer un sot de son mérite, m’insinuer auprès des femmes !

moi.

Et tout cela vous le savez mille fois mieux que moi ; je ne serais pas même digne d’être votre écolier.

lui.

Combien de grandes qualités perdues, et dont vous ignorez le prix !