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lui.

Cela ne se peut, il y a des jours où il faut que je réfléchisse ; c’est une maladie qu’il faut abandonner à son cours. Où en étais-je ?

moi.

À l’intimité bien établie entre le juif et le renégat.

lui.

Alors la poire était mûre… Mais vous ne m’écoutez pas, à quoi rêvez-vous ?

moi.

Je rêve à l’inégalité de votre ton tantôt haut, tantôt bas.

lui.

Est-ce que le ton de l’homme vicieux peut être un ?… Il arrive un soir chez son ami, l’air effaré, la voix entrecoupée, le visage pâle comme la mort, tremblant de tous ses membres.

« Qu’avez-vous ?

— Nous sommes perdus.

— Perdus et comment ?

— Perdus, vous dis-je, sans ressource.

— Expliquez-vous.

— Un moment, que je me remette de mon effroi.

— Allons remettez-vous, » lui dit le juif, au lieu de lui dire : « tu es un fieffé fripon, je ne sais ce que tu as à m’apprendre, mais tu es un fieffé fripon, tu joues la terreur. »

moi.

Et pourquoi lui devait-il parler ainsi ?

lui.

C’est qu’il était faux et qu’il avait passé la mesure ; cela est clair pour moi, et ne m’interrompez pas davantage. « Nous sommes perdus,… perdus !… sans ressource ! » Est-ce que vous ne sentez pas l’affectation de ces perdus répétés ?… « Un traître nous a déférés à la sainte Inquisition, vous comme juif, moi comme renégat, comme un infâme renégat… » Voyez comme le traître ne rougit pas de se servir des expressions les plus odieuses. Il faut plus de courage qu’on ne pense pour s’appeler de son nom ; vous ne savez pas ce qu’il en coûte pour en venir là.

moi.

Non, certes. Mais cet infâme renégat ?…