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moi.

Vous ne doutez pas du jugement que je porte de votre caractère ?

lui.

Nullement ; je suis à vos yeux un être très-abject, très-méprisable, et je le suis aussi quelquefois aux miens, mais rarement ; je me félicite plus souvent de mes vices que je ne m’en blâme ; vous êtes plus constant dans votre mépris !

moi.

Il est vrai ; mais pourquoi me montrer toute votre turpitude ?

lui.

D’abord, c’est que vous en connaissiez une bonne partie, et que je voyais plus à gagner qu’à perdre à vous avouer le reste.

moi.

Comment cela, s’il vous plaît ?

lui.

S’il importe d’être sublime en quelques genres, c’est surtout en mal. On crache sur un petit filou, mais on ne peut refuser une sorte de considération à un grand criminel : son courage vous étonne, son atrocité vous fait frémir. On prise en tout l’unité du caractère.

moi.

Mais cette estimable unité de caractère vous ne l’avez pas encore ; je vous trouve de temps en temps vacillant dans vos principes ; il est incertain si vous tenez votre méchanceté de la nature ou de l’étude, et si l’étude vous a porté aussi loin qu’il est possible.

lui.

J’en conviens ; mais j’y ai fait de mon mieux. N’ai-je pas eu la modestie de reconnaître des êtres plus parfaits que moi ? ne vous ai-je pas parlé de Bouret avec l’admiration la plus profonde ? Bouret est le premier homme du monde dans mon esprit.

moi.

Mais immédiatement après Bouret, c’est vous ?

lui.

Non.

moi.

C’est donc Palissot ?

lui.

C’est Palissot, mais ce n’est pas Palissot seul.