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moi.

Que voulez-vous dire avec votre petit chien ?

lui.

D’où venez-vous donc ? Quoi ! sérieusement, vous ignorez comment cet homme rare s’y prit pour détacher de lui et attacher au garde des sceaux[1] un petit chien qui plaisait à celui-ci ?

moi.

Je l’ignore, je le confesse.

lui.

Tant mieux. C’est une des plus belles choses qu’on ait imaginées ; toute l’Europe en a été émerveillée, et il n’y a pas un courtisan dont elle n’ait excité l’envie. Vous qui ne manquez pas de sagacité, voyons comment vous vous y seriez pris à sa place. Songez que Bouret était aimé de son chien ; songez que le vêtement bizarre du ministre effrayait le petit animal ; songez qu’il n’avait que huit jours pour vaincre les difficultés. Il faut connaître toutes les conditions du problème pour bien sentir le mérite de la solution. Eh bien !

moi.

Eh bien ; il faut que je vous avoue que, dans ce genre, les choses les plus faciles m’embarrassent.

lui.

Écoutez (me dit-il en me frappant un petit coup sur l’épaule, car il est familier), écoutez et admirez. Il se fait faire un masque qui ressemble au garde des sceaux ; il emprunte d’un valet de chambre la volumineuse simarre ; il se couvre le visage du masque ; il endosse la simarre. Il appelle son chien, il le caresse, il lui donne la gimblette ; puis tout à coup changeant de décoration, ce n’est plus le garde des sceaux, c’est Bouret qui appelle son chien et qui le fouette. En moins de deux ou trois jours de cet exercice continu du matin au soir, le chien sait fuir Bouret le financier et courir à Bouret garde des sceaux ; mais je suis trop bon ; vous êtes un profane qui ne méritez pas d’être instruit des miracles qui s’opèrent à côté de vous.

  1. D’autres (l’Espion anglais) disent à M. de Machault, contrôleur général des finances.