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baissés, qui n’oserait regarder un homme en face, sans cesse en garde contre la séduction de ses sens ; tout cela empêche-t-il que son cœur ne brûle, que des soupirs ne lui échappent, que son tempérament ne s’allume, que les désirs ne l’obsèdent, et que son imagination ne lui retrace, la nuit, les scènes du Portier des Chartreux, les postures de l’Arétin ? Alors que devient-elle ? qu’en pense sa femme de chambre lorsqu’elle se lève en chemise et qu’elle vole au secours de sa maîtresse qui se meurt ? Justine, allez vous recoucher, ce n’est pas vous que votre maîtresse appelle dans son délire.

Et l’ami Rameau, s’il se mettait un jour à marquer du mépris pour la fortune, les femmes, la bonne chère, l’oisiveté, à catoniser, que serait-il ? un hypocrite. Il faut que Rameau soit ce qu’il est, un brigand heureux avec des brigands opulents et non un fanfaron de vertu ou même un homme vertueux, mangeant sa croûte de pain, seul ou à côté des gueux. Et pour le trancher net, je ne m’accommode point de votre félicité, ni du bonheur de quelques visionnaires comme vous.

moi.

Je vois, mon cher, que vous ignorez ce que c’est, et que vous n’êtes pas même fait pour l’apprendre.

lui.

Tant mieux, mordieu ! tant mieux ; cela me ferait crever de faim, d’ennui et de remords peut-être.

moi.

D’après cela, le seul conseil que j’aie à vous donner, c’est de rentrer bien vite dans la maison d’où vous vous êtes imprudemment fait chasser.

lui.

Et de faire ce que vous ne désapprouvez pas au simple, et qui me répugne un peu au figuré[1] ?

moi.

Quelle singularité !

lui.

Il n’y a rien de singulier à cela ; je veux bien être abject,

  1. Voir p. 404. Cette phrase était incompréhensible avant la restitution que nous avons pu faire.