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lui.

Pardonnez-moi, il est quelquefois difficile de trouver de l’argent, et il est prudent de s’y prendre de loin.

moi.

Vous donnerez peu de soin à votre femme ?

lui.

Aucun, s’il vous plaît. Le meilleur procédé, je crois, qu’on puisse avoir pour sa chère moitié, c’est de faire ce qui lui convient. À votre avis, la société ne serait-elle pas fort amusante, si chacun y était à sa chose ?

moi.

Pourquoi pas ? la soirée n’est jamais plus belle pour moi que quand je suis content de ma matinée.

lui.

Et pour moi aussi.

moi.

Ce qui rend les gens du monde si délicats sur leurs amusements, c’est leur profonde oisiveté.

lui.

Ne croyez pas cela ; ils s’agitent beaucoup.

moi.

Comme ils ne se lassent jamais, ils ne se délassent jamais.

lui.

Ne croyez pas cela, ils sont sans cesse excédés.

moi.

Le plaisir est toujours une affaire pour eux et jamais un besoin.

lui.

Tant mieux ; le besoin est toujours une peine.

moi.

Ils usent tout. Leur âme s’hébète, l’ennui s’en empare. Celui qui leur ôterait la vie au milieu de leur abondance accablante, les servirait ; c’est qu’ils ne connaissent du bonheur que la partie qui s’émousse le plus vite. Je ne méprise pas les plaisirs des sens, j’ai un palais aussi, et il est flatté d’un mets délicat ou d’un vin délicieux ; j’ai un cœur et des yeux, et j’aime à voir une jolie femme, j’aime à sentir sous ma main la fermeté