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moi.

J’admire le vôtre.

lui.

Et puis la misère : la voix de la conscience et de l’honneur est bien faible, lorsque les boyaux crient. Suffit que si je deviens jamais riche, il faudra bien que je restitue, et que je suis bien résolu à restituer de toutes les manières possibles, par la table, par le jeu, par le vin, par les femmes.

moi.

Mais j’ai peur que vous ne deveniez jamais riche.

lui.

Moi, j’en ai le soupçon.

moi.

Mais s’il en arrivait autrement, que feriez-vous ?

lui.

Je ferais comme tous les gueux revêtus, je serais le plus insolent maroufle qu’on eût encore vu. C’est alors que je me rappellerais tout ce qu’ils m’ont fait souffrir, et je leur rendrais bien les avanies[1] qu’ils m’ont faites. J’aime à commander, et je commanderai. J’aime qu’on me loue, et on me louera. J’aurai à mes gages toute la troupe Villemorienne[2], et je leur dirai, comme on me l’a dit : « Allons, faquins, qu’on m’amuse, » et l’on m’amusera ; « Qu’on me déchire les honnêtes gens, » et on les déchirera, si on en trouve encore ; et puis nous aurons des filles, nous nous tutoierons quand nous serons ivres ; nous nous enivrerons, nous ferons des contes, nous aurons toutes sortes de travers et de vices, cela sera délicieux. Nous prouverons que Voltaire est sans génie ; que Buffon, toujours guindé sur des échasses, n’est qu’un déclamateur ampoulé ; que Montesquieu n’est qu’un bel esprit ; nous reléguerons D’Alembert dans ses mathématiques. Nous en donnerons sur dos et ventre à tous ces petits Catons comme vous, qui nous méprisent par envie, dont la modestie est le maintien de l’orgueil, et dont la sobriété est la loi du besoin. Et de la musique ? c’est alors que nous en ferons.

  1. Et non avances.
  2. Les précédentes éditions disent : « la troupe des flatteurs, des bouffons et des parasites. » Rameau a ici en vue la clientèle du fermier général Villemorien, gendre de Bouret, clientèle qui devait être assez semblable à celle de Bertin et de Mlle Hus.