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Alors je rabattais un peu les coups, et hochant de la tête, je disais : « Pardonnez-moi, madame, pardonnez-moi ; cela pourrait aller mieux si mademoiselle voulait, si elle étudiait un peu, mais cela ne va pas mal. »

La mère : « À votre place, je la tiendrais un an sur la même pièce.

— Oh ! pour cela, elle n’en sortira pas qu’elle ne soit au-dessus de toute difficulté, et cela ne sera pas aussi long que madame le croit.

— Monsieur Rameau, vous la flattez. Vous êtes trop bon. Voilà de la leçon la seule chose qu’elle retiendra et qu’elle saura bien me répéter dans l’occasion… »

L’heure se passait, mon écolière me présentait mon petit cachet avec la grâce du bras et la révérence qu’elle avait apprise du maître à danser : je le mettais dans ma poche, pendant que la mère disait : « Fort bien, mademoiselle ; si Favillier[1] était là, il vous applaudirait… » Je bavardais encore un moment par bienséance ; je disparaissais ensuite, et voilà ce qu’on appelait alors une leçon d’accompagnement.

moi.

Et aujourd’hui c’est donc autre chose ?

lui.

Vertudieu ! je le crois. J’arrive ; je suis grave ; je me hâte d’ôter mon manchon, j’ouvre le clavecin, j’essaye les touches. Je suis toujours pressé ; si l’on me fait attendre un moment, je crie comme si l’on me volait un écu ; dans une heure d’ici il faut que je sois là, dans deux heures chez Mme la duchesse une telle ; je suis attendu à dîner chez une belle marquise, et au sortir de là, c’est un concert chez M. le baron de Bagge[2], rue Neuve-des-Petits-Champs.

  1. M. de Saur met Abraham, et les éditeurs subséquents ont jugé à propos de croire qu’il donnait la clef du nom de Favillier, qui est dans les diverses éditions et qui représente sans doute un maître à danser dont les biographes n’ont pas jugé à propos de s’inquiéter.
  2. Le nom et l’adresse sont bien dans le texte de Gœthe, quoique M. de Saur, pour se faire honneur d’une découverte, ait mis de B*** et ait expliqué cette abréviation en note, explication encore prise au sérieux par ses successeurs. Gœthe, dans une véritable note à ce sujet, dit que le baron de Bagge était un noble allemand ou brabançon qui se fit remarquer longtemps à Paris par sa passion pour la musique. Mais il voulait l’entendre en nombreuse compagnie. Ses concerts, très-bons et très-suivis, ne pouvaient souffrir de la façon très-doucement railleuse dont en parle Diderot.