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moi.

Pas encore ; c’est sa mère qui se mêle de son éducation ; car il faut avoir la paix chez soi.

lui.

La paix chez soi ? Morbleu ! on ne l’a que quand on est le serviteur ou le maître, et c’est le maître qu’il faut être… J’ai eu une femme… Dieu veuille avoir son âme ; mais quand il lui arrivait quelquefois de se rebéquer, je m’élevais sur mes ergots, je déployais mon tonnerre, je disais comme Dieu : « Que la lumière se fasse ; » et la lumière était faite. Aussi en quatre années de temps nous n’avons pas eu dix fois un mot plus haut que l’autre. Quel âge a votre enfant ?

moi.

Cela ne fait rien à l’affaire.

lui.

Quel âge a votre enfant ?

moi.

Et que diable ! laissons là mon enfant et son âge, et revenons aux maîtres qu’elle aura.

lui.

Pardieu ! je ne sache rien de si têtu qu’un philosophe. En vous suppliant très-humblement, ne pourrait-on savoir de monseigneur le philosophe quel âge à peu près peut avoir mademoiselle sa fille ?

moi.

Supposez-lui huit ans[1].

lui.

Huit ans ! Il y a quatre ans que cela devrait avoir les doigts sur les touches.

moi.

Mais peut-être ne me soucié-je pas trop de faire entrer dans le plan de son éducation une étude qui occupe si longtemps et qui sert si peu.

lui.

Et que lui apprendrez-vous donc, s’il vous plaît ?

moi.

À raisonner juste, si je puis ; chose si peu commune parmi les hommes, et plus rare encore parmi les femmes.

  1. Mme de Vandeul, née vers la fin de 1753, avait huit ans en 1762.