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— C’est un homme sévère qui m’a déjà refusé l’absolution pour la chanson, Viens dans ma cellule.

— C’est que vous n’aviez rien à lui donner ; mais quand vous lui apparaîtrez en dentelles…

— J’aurai donc des dentelles ?

— Sans doute et de toutes les sortes… en belles boucles de diamants…

— J’aurai donc de belles boucles de diamants ?

— Oui.

— Comme celles de cette marquise qui vient quelquefois prendre des gants dans notre boutique ?

— Précisément… dans un bel équipage avec des chevaux gris pommelés, deux grands laquais, un petit nègre, et le coureur en avant ; du rouge, des mouches, la queue portée.

— Au bal ?

— Au bal, à l’Opéra, à la comédie… (Déjà le cœur lui tressaillit de joie… Tu joues avec un papier entre tes doigts.)

— Qu’est cela ?

— Ce n’est rien.

— Il me semble que si.

— C’est un billet.

— Et pour qui ?

— Pour vous, si vous étiez un peu curieuse.

— Curieuse ? je le suis beaucoup, voyons… (Elle lit.) Une entrevue ! cela ne se peut.

— En allant à la messe.

— Maman m’accompagne toujours ; mais s’il venait ici un peu matin, je me lève la première et je suis au comptoir avant qu’on soit levé…

Il vient, il plaît ; un beau jour à la brune, la petite disparaît, et l’on me compte mes deux mille écus… Et quoi ! tu possèdes ce talent-là et tu manques de pain. N’as-tu pas de honte, malheureux ?… Je me rappelais un tas de coquins qui ne m’allaient pas à la cheville et qui regorgeaient de richesses. J’étais en surtout de bouracan, et ils étaient couverts de velours ; ils s’appuyaient sur la canne à pomme d’or et en bec de corbin, et ils avaient l’Aristote ou le Platon[1] au doigt.

  1. Des pierres gravées représentant Aristote ou Platon.