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c’est le châtiment d’un père et d’une mère justement irrités. S’il plaisait à Dieu de m’appeler demain, demain il faudrait que j’en vinsse à cette extrémité, et que je m’ouvrisse à mon mari, afin de prendre de concert les mêmes mesures. Ne m’exposez point à une indiscrétion qui me rendrait odieuse à ses yeux, et qui entraînerait des suites qui vous déshonoreraient. Si vous me survivez, vous resterez sans nom, sans fortune et sans état ; malheureuse ! dites-moi ce que vous deviendrez : quelles idées voulez-vous que j’emporte en mourant ? Il faudra donc que je dise à votre père… Que lui dirai-je ? Que vous n’êtes pas son enfant !… Ma fille, s’il ne fallait que se jeter à vos pieds pour obtenir de vous… Mais vous ne sentez rien ; vous avez l’âme inflexible de votre père… »

En ce moment, M. Simonin entra ; il vit le désordre de sa femme ; il l’aimait ; il était violent ; il s’arrêta tout court, et tournant sur moi des regards terribles, il me dit :

« Sortez ! »

S’il eût été mon père, je ne lui aurais pas obéi, mais il ne l’était pas.

Il ajouta, en parlant au domestique qui m’éclairait :

« Dites-lui qu’elle ne reparaisse plus. »

Je me renfermai dans ma petite prison. Je rêvai à ce que ma mère m’avait dit ; je me jetai à genoux, je priai Dieu qu’il m’inspirât ; je priai longtemps ; je demeurai le visage collé contre terre ; on n’invoque presque jamais la voix du ciel, que quand on ne sait à quoi se résoudre ; et il est rare qu’alors elle ne nous conseille pas d’obéir. Ce fut le parti que je pris. « On veut que je sois religieuse ; peut-être est-ce aussi la volonté de Dieu. Eh bien ! je le serai, puisqu’il faut que je sois malheureuse, qu’importe où je le sois !…» Je recommandai à celle qui me servait de m’avertir quand mon père serait sorti. Dès le lendemain je sollicitai un entretien avec ma mère ; elle me fit répondre qu’elle avait promis le contraire à M. Simonin, mais que je pouvais lui écrire avec un crayon qu’on me donna. J’écrivis donc sur un bout de papier (ce fatal papier s’est retrouvé, et l’on ne s’en est que trop bien servi contre moi) :

« Maman, je suis fâchée de toutes les peines que je vous ai causées ; je vous en demande pardon : mon dessein est de les finir. Ordonnez de moi tout ce qu’il vous plaira ; si c’est votre