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lui.

Oui, ordinairement ; mais pas merveilleusement aujourd’hui.

moi.

Comment ! vous voilà avec un ventre de Silène et un visage…

lui.

Un visage qu’on prendrait pour son antagoniste[1]. C’est que l’humeur qui fait sécher mon cher oncle engraisse apparemment son cher neveu.

moi.

À propos de cet oncle, le voyez-vous quelquefois ?

lui.

Oui, passer dans la rue.

moi.

Est-ce qu’il ne vous fait aucun bien ?

lui.

S’il en fait à quelqu’un, c’est sans s’en douter. C’est un philosophe dans son espèce ; il ne pense qu’à lui, le reste de l’univers lui est comme d’un clou à soufflet[2]. Sa fille et sa femme n’ont qu’à mourir quand elles voudront, pourvu que les cloches de la paroisse qui sonneront pour elles continuent de résonner la douzième et la dix-septième[3], tout sera bien. Cela est heureux pour lui, et c’est ce que je prise particulièrement dans les gens de génie. Ils ne sont bons qu’à une chose, passé cela, rien ; ils ne savent ce que c’est d’être citoyens, pères, mères, parents, amis. Entre nous, il faut leur ressembler de tout point, mais ne pas désirer que la graine en soit commune. Il faut des hommes ; mais pour des hommes de génie, point ; non, ma foi, il n’en faut point. Ce sont eux qui changent la face du globe ; et dans les plus petites choses, la sottise est si commune et si puissante qu’on ne la réforme pas sans charivari. Il s’établit partie de ce qu’ils ont imaginé, partie reste comme il était ; de là deux

  1. L’édition Brière met : pour un c…
  2. Et non : à un, le clou à soufflet, ou le clou à sabots, étant une chose de nulle valeur.
  3. Il est bon de remarquer, à ce propos, que, contrairement au proverbe, qui entend une cloche entend deux sons, la cloche donne à la fois la tonique et la quinte. Rameau parle ici de l’accord de plusieurs cloches.