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c’était pour ne point humilier notre gloire nationale, en rappelant le souvenir de ces temps de malheur et de honte pour les lettres, où nos plus grands écrivains ont été forcés de faire imprimer leurs ouvrages hors de France, et de s’expatrier dans ce qu’ils avaient de plus cher, dans les fruits de leur génie.

Telle a été, durant toute leur vie, la destinée de Voltaire et de Diderot, en butte à la surveillance ombrageuse des inquisiteurs littéraires. C’est ainsi que quelques-unes des productions les plus remarquables de ce dernier (la Religieuse, Jacques le Fataliste) ont été connues en Allemagne avant d’être imprimées dans la patrie de leur auteur, où elles n’ont paru que longtemps après sa mort ; c’est ainsi que le Neveu de Rameau, sans nous, serait peut-être encore ignoré en France, et du public, et de M. Brière lui-même.

M. Brière, sans apporter la moindre preuve de l’authenticité de celui qu’il publie, dit vaguement qu’il le tient d’une main sûre[1]. Il aurait pu prétendre à faire plus d’illusions, s’il l’avait reçu d’une main habile et exercée.

Quant à nous, nous avouons que nous avons traduit, sur l’allemand de Goethe, le Neveu de Rameau publié par nous, à Paris, chez Delaunay. Nous avouons, de plus, que les 32 pages d’introduction que M. Brière a placées à la tête de son dernier volume nous appartiennent, et sont extraites de l’ouvrage de Goethe, sur les Hommes célèbres de la France[2], que nous avons traduit, et auquel M. Brière a jugé à propos de les emprunter.

Nous avouons, de plus, qu’il nous est impossible de reconnaître le talent de Diderot dans l’écrit que M. Brière lui attribue. Il est trop dépourvu de correction et d’élégance, et défiguré par des fautes de style trop choquantes. Ce ne peut être qu’une nouvelle traduction de l’allemand. L’éditeur n’en fait pas l’aveu ; mais la traduction en convient pour lui. Le livre nie ce que dit le libraire. On doit plus de respect aux hommes illustres[3]. Imputer un mauvais ouvrage à un bon écrivain, ce n’est pas lui rendre hommage, c’est porter contre lui une accusation ; mais son talent, connu de tous les lecteurs, suffit pour l’en absoudre.

Veuillez, messieurs, avoir la bonté d’insérer cette lettre dans un de vos prochains numéros.

Nous avons l’honneur, etc.

Le Vicomte de Saur
Maître des requêtes.
Le Comte de Saint-Geniès.


Le Courrier des Spectacles du 29 juin 1823 contenait la réponse de M. Brière :


Monsieur le rédacteur,

Le peu de place que vous voulez bien accorder dans votre journal à mes réclamations contre les insinuations de MM. de Saur et de Saint-Geniès, me fait mettre de côté tous les raisonnements, et je vais me borner aux faits seuls.

1o Mon prospectus des Œuvres de Diderot, publié en octobre 1821, annonçait que je possédais en manuscrit le roman dialogué intitulé : le Neveu de Rameau. Je n’ai donc point eu, comme veulent bien le dire MM. de Saur et de Saint-Geniès,

  1. Mme de Vandeul avait d’abord insisté pour ne pas être nommée.
  2. V. ci-dessus, p. 367, note 1.
  3. M. de Saur était sans doute de l’école de Naigeon, qui pensait que corriger ces hommes illustres était la plus grande preuve de respect qu’il fût possible de leur donner.