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« À l’éditeur animé réellement des meilleures intentions, je fis la réponse suivante :

Très-honoré monsieur,

Vous m’avez fait un très-grand plaisir par votre important et agréable envoi ; car, quoique j’aie traduit avec charme, et même avec passion, il y a bien des années, l’admirable dialogue de Diderot, je ne pus y consacrer alors que très-peu de temps, et depuis je n’ai jamais pu comparer de nouveau ma traduction avec l’original.

Vous venez de me fournir l’occasion de le faire, et je n’hésite pas le moins du monde à exprimer ma conviction que le Neveu de Rameau publié par vous est le véritable texte original. J’en ai pensé ainsi à la première lecture, et ma certitude est devenue complète depuis que, comparant phrase par phrase, et après un si long intervalle, l’ouvrage français avec ma traduction, j’ai trouvé plusieurs passages qui me fourniront les moyens de rendre mon travail bien meilleur si je puis un jour le remanier.

Cette explication me paraît suffisante pour votre but. Je vous aiderai de tout mon pouvoir à l’atteindre, car la découverte et la publication de l’original de Diderot me rendent à moi-même un service important.

Si ma signature, mise au bas de cette lettre, était jamais révoquée en doute, comme vous paraissez le craindre, je pourrais aisément, par un témoignage juridique, faire cesser toute incertitude.

Avec le désir de voir bientôt terminer votre édition des Œuvres complètes de Diderot et de recevoir de vous la nouvelle de l’arrivée de cette lettre, j’ai l’honneur d’être

Votre très-dévoué,
J.-W. Gœthe.
Weimar, le 25 octobre 1823.

« Par ce qui précède, on peut reconnaître le grand et irréparable dommage que peut causer le lancement dans le public d’œuvres en tout ou en partie controuvées. Le jugement de la foule, qui a toujours besoin d’être dirigé par des influences élevées et honnêtes, s’égare. Il se fie à une certaine apparence d’originalité, et ne sait plus reconnaître le médiocre de l’excellent, ce qui est faible et ce qui est fort, ce qui est absurde et ce qui est profond.

« Celui qui aime la littérature française, celui qui se rend bien compte de l’influence réciproque des littératures les unes sur les autres peut, comme nous, apprécier à sa juste valeur la chance qui a permis qu’un tel ouvrage déjà connu, mais qui doit l’être par tous, ait été enfin retrouvé. »


Nous avons laissé parler Goethe sans l’interrompre ; revenons maintenant à Paris, et suivons les démêlés des traducteurs pris en flagrant délit de piraterie littéraire avec l’éditeur du texte original.

Disons d’abord que, lors de leur publication, quelques honnêtes gens l’avaient prise pour bon argent, et qu’en 1823 même on n’était