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tion de le faire imprimer, mais que, d’abord, afin d’exciter plus vivement la curiosité publique, il se proposait d’en publier une traduction en allemand. On me confia ce travail, et comme depuis longtemps j’avais un grand respect pour l’auteur, je m’en chargeai volontiers après avoir parcouru l’original.

« On reconnaîtra, je l’espère, que je l’exécutai avec toute mon âme ; cependant, il ne réussit pas auprès du public allemand. Les appréhensions d’une guerre imminente répandaient partout l’anxiété, et bientôt il devint impossible, par suite de l’invasion des Français, de s’occuper de la publication de l’original. La haine excitée contre les envahisseurs et contre leur langue, jointe à la longue durée de cette triste époque, empêcha M. Goeschen de réaliser son projet. Schiller nous quitta[1], et je ne pus apprendre d’où était venu le manuscrit que je lui avais rendu.

« Mais lorsqu’en 1818 on pensa à comprendre dans la Collection des prosateurs français[2] les Œuvres complètes de Diderot, on fit paraître un prospectus qui mentionnait ce mystérieux manuscrit, et l’on donna d’après ma traduction une analyse assez fidèle de cet ouvrage singulier, dont on remit en français quelques passages. On ne voulut pas, à la vérité, voir dans ce dialogue un chef-d’œuvre, mais on le trouva digne de la plume originale de Diderot, ce qui était pourtant déclarer que c’en était un.

« On s’occupa encore quelquefois de cette affaire, mais sans grand résultat. Enfin, en 1821, parut à Paris : le Neveu de Rameau, dialogue, ouvrage posthume et inédit par Diderot ; il produisit, comme cela devait être, une grande sensation, et les faits qui s’y rapportent méritent l’attention de la postérité. Voici comment les choses se passèrent :

« Les recherches publiquement réitérées pour arriver à la découverte de l’original donnèrent à deux jeunes gens la pensée de faire une traduction rétrospective. Le vicomte de Saur, maître des requêtes au Conseil du Roi (c’est le titre qu’il prend dans un envoi qu’il m’a fait), entreprit cette traduction avec son ami M. de Saint-Geniès ; ce travail réussit si bien, qu’ils osèrent se risquer à le donner pour l’original. Personne ne découvrit, sur l’heure, les fautes, les corrections et aussi les interpolations provenant du fait des traducteurs. Bref, on crut, pendant un temps, posséder l’original. Cette erreur dura jusqu’au moment où le véritable texte original fut mis en lumière par l’éditeur des Œuvres complètes de Diderot, qui l’avait reçu de la famille de celui-ci.

« Cette découverte inespérée donna lieu à une sérieuse controverse. Les jeunes et spirituels traducteurs de ma traduction, ne voulant pas

  1. Schiller mourut au mois de mai 1805. Sa dernière lettre à Goethe est du 24 avril de cette année, et elle est consacrée à l’examen des notes de Goethe sur le Neveu de Rameau.
  2. Éditée par Belin.