Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tandis que j’étais enfermée à la maison, je faisais peu d’exercices extérieurs de religion ; cependant on m’envoyait à confesse la veille des grandes fêtes. Je vous ai dit que j’avais le même directeur que ma mère ; je lui parlai, je lui exposai toute la dureté de la conduite qu’on avait tenue avec moi depuis environ trois ans. Il la savait. Je me plaignis de ma mère surtout avec amertume et ressentiment. Ce prêtre était entré tard dans l’état religieux ; il avait de l’humanité ; il m’écouta tranquillement, et me dit :

« Mon enfant, plaignez votre mère, plaignez-la plus encore que vous ne la blâmez. Elle a l’âme bonne ; soyez sûre que c’est malgré elle qu’elle en use ainsi.

— Malgré elle, monsieur ! Et qu’est-ce qui peut l’y contraindre ! Ne m’a-t-elle pas mise au monde ? Et quelle différence y a-t-il entre mes sœurs et moi ?

— Beaucoup.

— Beaucoup ! je n’entends rien à votre réponse… »

J’allais entrer dans la comparaison de mes sœurs et de moi, lorsqu’il m’arrêta et me dit :

« Allez, allez, l’inhumanité n’est pas le vice de vos parents ; tâchez de prendre votre sort en patience, et de vous en faire du moins un mérite devant Dieu. Je verrai votre mère, et soyez sûre que j’emploierai pour vous servir tout ce que je puis avoir d’ascendant sur son esprit… »

Ce beaucoup, qu’il m’avait répondu, fut un trait de lumière pour moi ; je ne doutai plus de la vérité de ce que j’avais pensé sur ma naissance.


Le samedi suivant, vers les cinq heures et demie du soir, à la chute du jour, la servante qui m’était attachée monta, et me dit : « Madame votre mère ordonne que vous vous habilliez… » Une heure après : « Madame veut que vous descendiez avec moi… » Je trouvai à la porte un carrosse où nous montâmes, la domestique et moi ; et j’appris que nous allions aux Feuillants, chez le père Séraphin. Il nous attendait ; il était seul. La domestique s’éloigna ; et moi, j’entrai dans le parloir. Je m’assis inquiète et curieuse de ce qu’il avait à me dire. Voici comme il me parla :

« Mademoiselle, l’énigme de la conduite sévère de vos