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textes, et puis d’autres prétextes encore. Le voyage de Versailles fut différé de jour en jour, jusqu’à ce qu’il ne convenait presque plus de le faire. Il y avait déjà du temps que nous ne lui en parlions pas, lorsque le même émissaire revint, avec une seconde lettre remplie des reproches les plus obligeants et une autre gratification équivalente à la première et offerte avec le même ménagement. Cette action généreuse de Mme  de Pompadour n’a point été connue. J’en ai parlé à M. Collin, son homme de confiance et le distributeur de ses grâces secrètes. Il l’ignorait ; et j’aime à me persuader que ce n’est pas la seule que sa tombe recèle.

Ce fut ainsi que Mlle  de La Chaux manqua deux fois l’occasion de se tirer de la détresse.

Depuis, elle transporta sa demeure sur les extrémités de la ville, et je la perdis tout à fait de vue. Ce que j’ai su du reste de sa vie, c’est qu’il n’a été qu’un tissu de chagrins, d’infirmités et de misère. Les portes de sa famille lui furent opiniâtrement fermées. Elle sollicita inutilement l’intercession de ces saints personnages qui l’avaient persécutée avec tant de zèle.

— Cela est dans la règle.

— Le docteur ne l’abandonna point. Elle mourut sur la paille, dans un grenier, tandis que le petit tigre de la rue Hyacinthe, le seul amant qu’elle ait eu, exerçait la médecine à Montpellier ou à Toulouse, et jouissait, dans la plus grande aisance, de la réputation méritée d’habile homme, et de la réputation usurpée d’honnête homme.

— Mais cela est encore à peu près dans la règle. S’il y a un bon et honnête Tanié, c’est à une Reymer que la Providence l’envoie ; s’il y a une bonne et honnête de La Chaux, elle deviendra le partage d’un Gardeil[1], afin que tout soit fait pour le mieux.

Mais on me dira peut-être que c’est aller trop vite que de prononcer définitivement sur le caractère d’un homme d’après une seule action ; qu’une règle aussi sévère réduirait le nombre des gens de bien au point d’en laisser moins sur la terre que l’Évangile du chrétien n’admet d’élus dans le ciel ; qu’on peut

  1. Gardeil est mort le 19 avril 1808, à l’âge de quatre-vingt-deux ans. On a de lui une Traduction des Œuvres médicales d’Hippocrate, sur le texte grec, d’après l’édition de Foës ; Toulouse, 1801. (Br.) — C’est à Montpellier qu’il exerçait.