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Elle sentit toute la justesse de mon observation et n’en fut que plus affligée. Le bon docteur prévenait tous ses besoins ; mais elle usait de sa bienfaisance avec d’autant plus de réserve, qu’elle se sentait moins disposée à la sorte de reconnaissance qu’il en pouvait espérer. D’ailleurs, le docteur[1] n’était pas riche alors ; et il n’était pas trop fait pour le devenir. De temps en temps, elle tirait son manuscrit de son portefeuille ; et elle me disait tristement : « Eh bien ! il n’y a donc pas moyen d’en rien faire ; et il faut qu’il reste là. » Je lui donnai un conseil singulier, ce fut d’envoyer l’ouvrage tel qu’il était, sans adoucir, sans changer, à Mme de Pompadour même, avec un bout de lettre qui la mît au fait de cet envoi. Cette idée lui plut. Elle écrivit une lettre charmante de tous points, mais surtout par un ton de vérité auquel il était impossible de se refuser. Deux ou trois mois s’écoulèrent sans qu’elle entendît parler de rien ; et elle tenait la tentative pour infructueuse, lorsqu’une croix de Saint-Louis se présenta chez elle avec une réponse de la marquise. L’ouvrage y était loué comme il le méritait ; on remerciait du sacrifice ; on convenait des applications, on n’en était point offensée ; et l’on invitait l’auteur à venir à Versailles, où l’on trouverait une femme reconnaissante et disposée à rendre les services qui dépendraient d’elle. L’envoyé, en sortant de chez Mlle de La Chaux, laissa adroitement sur sa cheminée un rouleau de cinquante louis.

Nous la pressâmes, le docteur et moi, de profiter de la bienveillance de Mme de Pompadour ; mais nous avions affaire à une fille dont la modestie et la timidité égalaient le mérite. Comment se présenter là avec ses haillons ? Le docteur leva tout de suite cette difficulté. Après les habits, ce furent d’autres pré-

  1. Le Camus (Antoine), qui a laissé après lui d’autres souvenirs de bienfaisance, était né à Paris en 1722.

    On lui doit un grand nombre d’ouvrages de médecine et de littérature. Nous citerons seulement : La Médecine de l’Esprit, Paris, 1753. Projet d’anéantir la petite vérole, 1767. Médecine pratique rendue plus simple, plus sûre et plus méthodique, 1769. Plusieurs Mémoires sur différents sujets de médecine. Abdéker, ou l’Art de conserver la beauté, 1754-1756. L’Amour et l’Amitié, comédie, 1763. Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé, traduites du grec de Longus, par Amyot, avec une double traduction ; Paris, 1757. Cette nouvelle traduction de Le Camus mérite encore d’être lue après celle que vient de publier M. Courier à Sainte-Pélagie, où il était détenu pour un écrit sur l’acquisition du domaine de Chambord. Paris, 1821. (Br.)