Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/325

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Du dernier ?

— Oui.

— Il en avait donc eu plusieurs ?

— Assurément.

— Allez, allez.

— Mais je n’ai peut-être rien à vous dire que vous ne sachiez mieux que moi.

— Qu’importe, allez toujours.

Mme  Reymer et Tanié occupaient un assez beau logement rue Sainte-Marguerite, à ma porte. Je faisais grand cas de Tanié, et je fréquentais sa maison, qui était, sinon opulente, du moins fort aisée.

— Je puis vous assurer, moi, sans avoir compté avec la Reymer, qu’elle avait mieux de quinze mille livres de rente avant le retour de Tanié.

— À qui elle dissimulait sa fortune ?

— Oui.

— Et pourquoi ?

— C’est qu’elle était avare et rapace.

— Passe pour rapace ; mais avare ! une courtisane avare !… Il y avait cinq à six ans que ces deux amants vivaient dans la meilleure intelligence.

— Grâce à l’extrême finesse de l’une et à la confiance sans bornes de l’autre.

— Oh ! il est vrai qu’il était impossible à l’ombre d’un soupçon d’entrer dans une âme aussi pure que celle de Tanié. La seule chose dont je me sois quelquefois aperçu, c’est que Mme  Reymer avait bientôt oublié sa première indigence ; qu’elle était tourmentée de l’amour du faste et de la richesse ; qu’elle était humiliée qu’une aussi belle femme allât à pied.

— Que n’allait-elle en carrosse ?

— Et que l’éclat du vice lui en dérobait la bassesse. Vous riez ?… Ce fut alors que M. de Maurepas[1] forma le projet d’établir au nord une maison de commerce. Le succès de cette entreprise demandait un homme actif et intelligent. Il jeta les yeux

  1. En 1749, M. de Maurepas, encore ministre de la marine, remit à Louis XV un mémoire dans lequel il développait les moyens d’ouvrir, par l’intérieur du Canada, un commerce avec les colonies anglaises. Ce projet fut adopté par la suite, et Maurepas le vit exécuté avant sa mort. (Br.)