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un jour de toilette ; à présent que je me rappelle toutes ces cérémonies, il me semble qu’elles avaient quelque chose de solennel et de bien touchant[1] pour une jeune innocente que son penchant n’entraînerait point ailleurs. On me conduisit à l’église ; on célébra la sainte messe : le bon vicaire, qui me soupçonnait une résignation que je n’avais point, me fit un long sermon où il n’y avait pas un mot qui ne fût à contre-sens ; c’était quelque chose de bien ridicule que tout ce qu’il me disait de mon bonheur, de la grâce, de mon courage, de mon zèle, de ma ferveur et de tous les beaux sentiments qu’il me supposait. Ce contraste et de son éloge et de la démarche que j’allais faire me troubla ; j’eus des moments d’incertitude, mais qui durèrent peu. Je n’en sentis que mieux que je manquais de tout ce qu’il fallait avoir pour être une bonne religieuse. Enfin le moment terrible arriva. Lorsqu’il fallut entrer dans le lieu où je devais prononcer le vœu de mon engagement, je ne me trouvai plus de jambes ; deux de mes compagnes me prirent sous les bras ; j’avais la tête renversée sur une d’elles, et je me traînais. Je ne sais ce qui se passait dans l’âme des assistants, mais ils voyaient une jeune victime mourante qu’on portait à l’autel, et il s’échappait de toutes parts des soupirs et des sanglots, au milieu desquels je suis bien sûre que ceux de mon père et de ma mère ne se firent point entendre. Tout le monde était debout ; il y avait de jeunes personnes montées sur des chaises, et attachées aux barreaux de la grille ; et il se faisait un profond silence, lorsque celui qui présidait à ma profession me dit : « Marie-Suzanne Simonin, promettez-vous de dire la vérité ?

— Je le promets.

— Est-ce de votre plein gré et de votre libre volonté que vous êtes ici ? »

Je répondis, « non ; » mais celles qui m’accompagnaient répondirent pour moi, « oui. »

« Marie-Suzanne Simonin, promettez-vous à Dieu chasteté, pauvreté et obéissance ? »

J’hésitai un moment ; le prêtre attendit ; et je répondis :

« Non, monsieur. »

  1. Dans un Essai sur les Fêtes nationales, an II (1794), Boissy-d’Anglas dit que Diderot n’a jamais pu voir sans attendrissement, sans un sentiment de respect, d’admiration, la procession de la Fête-Dieu.