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MON PÈRE.

Mon fils, mon fils, c’est un bon oreiller, que celui de la raison ; mais je trouve que ma tête repose plus doucement encore sur celui de la religion et des lois : et point de réplique là-dessus ; car je n’ai pas besoin d’insomnie. Mais il me semble que tu prends de l’humeur. Dis-moi donc, si j’avais brûlé le testament, est-ce que tu m’aurais empêché de restituer ?

MOI.

Non, mon père ; votre repos m’est un peu plus cher que tous les biens du monde.

MON PÈRE.

Ta réponse me plaît et pour cause.

MOI.

Et cette cause, vous allez nous la dire ?

MON PÈRE.

Volontiers. Le chanoine Vigneron, ton oncle, était un homme dur, mal avec ses confrères dont il faisait la satire continuelle par sa conduite et par ses discours. Tu étais destiné à lui succéder ; mais, au moment de sa mort, on pensa dans la famille qu’il valait mieux envoyer en cour de Rome, que de faire, entre les mains du chapitre, une résignation qui ne serait point agréée. Le courrier part. Ton oncle meurt une heure ou deux avant l’arrivée présumée du courrier, et voilà le canonicat et dix-huit cents francs perdus. Ta mère, tes tantes, nos parents, nos amis étaient tous d’avis de celer la mort du chanoine. Je rejetai ce conseil ; et je fis sonner les cloches sur-le-champ.

MOI.

Et vous fîtes bien.

MON PÈRE.

Si j’avais écouté les bonnes femmes, et que j’en eusse eu du remords, je vois que tu n’aurais pas balancé à me sacrifier ton aumusse.

MOI.

Sans cela. J’aurais mieux aimé être un bon philosophe, ou rien que d’être un mauvais chanoine.


Le gros prieur rentra, et dit sur mes derniers mots qu’il avait entendus : « Un mauvais chanoine ! Je voudrais bien savoir comment on est un bon ou un mauvais prieur, un bon ou un