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découvrît. Et quel est le criminel clandestin assez tranquille dans l’obscurité pour ne pas redouter la trahison d’une circonstance imprévue ou l’indiscrétion d’un mot peu réfléchi ? Quelle certitude a-t-il qu’il ne se décèlera point dans le délire de la fièvre ou du rêve ? On l’entendra sur le lieu de la scène, et il est perdu. Ceux qui l’environneront à la Chine ne le comprendront pas. « Mes enfants, les jours du méchant sont remplis d’alarmes. Le repos n’est fait que pour l’homme de bien. C’est lui seul qui vit et meurt tranquille. »

Ce texte épuisé, les visites s’en allèrent ; mon frère et ma sœur rentrèrent ; la conversation interrompue fut reprise, et mon père dit : « Dieu soit loué ! nous voilà ensemble. Je me trouve bien avec les autres, mais mieux avec vous. » Puis s’adressant à moi : « Pourquoi, me demanda-t-il, n’as-tu pas dit ton avis au chapelier ?

— C’est que vous m’en avez empêché.

— Ai-je mal fait ?

— Non, parce qu’il n’y a point de bon conseil pour un sot. Quoi donc, est-ce que cet homme n’est pas le plus proche parent de sa femme ? Est-ce que le bien qu’il a retenu ne lui a pas été donné en dot ? Est-ce qu’il ne lui appartient pas au titre le plus légitime ? Quel est le droit de ces collatéraux ?

MON PÈRE.

Tu ne vois que la loi, mais tu n’en vois pas l’esprit.

MOI.

Je vois comme vous, mon père, le peu de sûreté des femmes, méprisées, haïes à tort à travers de leurs maris, si la mort saisissait ceux-ci de leurs biens. Mais qu’est-ce que cela me fait à moi, honnête homme, qui ai bien rempli mes devoirs avec la mienne ? Ne suis-je pas assez malheureux de l’avoir perdue ? Faut-il qu’on vienne encore m’enlever sa dépouille ?

MON PÈRE.

Mais si tu reconnais la sagesse de la loi, il faut t’y conformer, ce me semble.

MA SŒUR.

Sans la loi il n’y a plus de vol.

MOI.

Vous vous trompez, ma sœur.