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stitué sur M. Michelin, lieutenant du procureur général. À peine la défunte a-t-elle eu les yeux fermés, que j’ai soustrait et les nippes et l’argent. Messieurs, vous savez actuellement mon affaire. Ai-je bien fait ? Ai-je mal fait ? Ma conscience n’est pas en repos. Il me semble que j’entends là quelque chose qui me dit : Tu as volé, tu as volé ; rends, rends. Qu’en pensez-vous ? Songez, messieurs, que ma femme m’a emporté, en s’en allant, tout ce que j’ai gagné pendant vingt ans ; que je ne suis presque plus en état de travailler ; que je suis endetté, et que si je restitue, il ne me reste que l’hôpital, si ce n’est aujourd’hui, ce sera demain. Parlez, messieurs, j’attends votre décision. Faut-il restituer et s’en aller à l’hôpital ?

— À tout seigneur, tout honneur, dit mon père, en s’inclinant vers l’ecclésiastique ; à vous, monsieur le prieur.

— Mon enfant, dit le prieur au chapelier, je n’aime pas les scrupules, cela brouille la tête et ne sert à rien ; peut-être ne fallait-il pas prendre cet argent ; mais, puisque tu l’as pris, mon avis est que tu le gardes.

MON PÈRE.

Mais, monsieur le prieur, ce n’est pas là votre dernier mot ?

LE PRIEUR.

Ma foi si ; je n’en sais pas plus long.

MON PÈRE.

Vous n’avez pas été loin. À vous, monsieur le magistrat.

LE MAGISTRAT.

Mon ami, ta position est fâcheuse ; un autre te conseillerait peut-être d’assurer le fonds aux collatéraux de ta femme, afin qu’en cas de mort ce fonds ne passât pas aux tiens, et de jouir, ta vie durant, de l’usufruit. Mais il y a des lois ; et ces lois ne t’accordent ni l’usufruit, ni la propriété du capital. Crois-moi, satisfais aux lois et sois honnête homme ; à l’hôpital, s’il le faut.

MOI.

Il y a des lois ! Quelles lois ?

MON PÈRE.

Et vous, monsieur le mathématicien, comment résolvez-vous ce problème ?