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comptez toujours sur tous mes secours. Je n’ai jamais attiré personne en religion, c’est un état où Dieu nous appelle, et il est très-dangereux de mêler sa voix à la sienne. Je n’entreprendrai point de parler à votre cœur, si la grâce ne lui dit rien ; jusqu’à présent je n’ai point à me reprocher le malheur d’une autre : voudrais-je commencer par vous, mon enfant, qui m’êtes si chère ? Je n’ai point oublié que c’est à ma persuasion que vous avez fait les premières démarches ; et je ne souffrirai point qu’on en abuse pour vous engager au delà de votre volonté. Voyons donc ensemble, concertons-nous. Voulez-vous faire profession ?

— Non, madame.

— Vous ne vous sentez aucun goût pour l’état religieux ?

— Non, madame.

— Vous n’obéirez point à vos parents ?

— Non, madame.

— Que voulez-vous donc devenir ?

— Tout, excepté religieuse. Je ne le veux pas être, je ne le serai pas.

— Eh bien ! vous ne le serez pas. Voyons, arrangeons une réponse à votre mère… »

Nous convînmes de quelques idées. Elle écrivit, et me montra sa lettre qui me parut encore très-bien. Cependant on me dépêcha le directeur de la maison ; on m’envoya le docteur qui m’avait prêchée à ma prise d’habit ; on me recommanda à la mère des novices ; je vis M. l’évêque d’Alep ; j’eus des lances à rompre avec des femmes pieuses qui se mêlèrent de mon affaire sans que je les connusse ; c’étaient des conférences continuelles avec des moines et des prêtres ; mon père vint, mes sœurs m’écrivirent ; ma mère parut la dernière : je résistai à tout. Cependant le jour fut pris pour ma profession ; on ne négligea rien pour obtenir mon consentement ; mais quand on vit qu’il était inutile de le solliciter, on prit le parti de s’en passer.

De ce moment, je fus renfermée dans ma cellule ; on m’imposa le silence ; je fus séparée de tout le monde, abandonnée à moi-même ; et je vis clairement qu’on était résolu à disposer de moi sans moi. Je ne voulais point m’engager ; c’était un point décidé : et toutes les terreurs vraies ou fausses qu’on me jetait sans cesse, ne m’ébranlaient pas. Cependant j’étais dans un état déplorable ; je ne savais point ce qu’il pouvait durer ; et s’il