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que nous nous sommes un peu reproché de ne l’avoir pas eue. Pour réparer cette faute, nous avons pensé d’abord à M. Papin, docteur en théologie, et curé de Sainte-Marie à Bourbonne : mais maman s’est ravisée ; et nous avons donné la préférence au subdélégué Aubert, qui est un bon homme, bien rond, et qui nous a envoyé le récit suivant, sur la vérité duquel vous pouvez compter :

« Le nommé Félix vit encore. Échappé des mains de la justice, il se jeta dans les forêts de la province, dont il avait appris à connaître les tours et les détours pendant qu’il faisait la contrebande, cherchant à s’approcher peu à peu de la demeure d’Olivier, dont il ignorait le sort.

« Il y avait au fond d’un bois, où vous vous êtes promenée quelquefois, un charbonnier dont la cabane servait d’asile à ces sortes de gens ; c’était aussi l’entrepôt de leurs marchandises et de leurs armes : ce fut là que Félix se rendit, non sans avoir couru le danger de tomber dans les embûches de la maréchaussée, qui le suivait à la piste. Quelques-uns de ses associés y avaient porté la nouvelle de son emprisonnement à Reims ; et le charbonnier et la charbonnière le croyaient justicié, lorsqu’il leur apparut.

« Je vais vous raconter la chose, comme je la tiens de la charbonnière, qui est décédée ici il n’y a pas longtemps.

« Ce furent ses enfants, en rôdant autour de la cabane, qui le virent les premiers. Tandis qu’il s’arrêtait à caresser le plus jeune, dont il était le parrain, les autres entrèrent dans la cabane en criant : Félix ! Félix ! Le père et la mère sortirent en répétant le même cri de joie ; mais ce misérable était si harassé de fatigue et de besoin, qu’il n’eut pas la force de répondre, et qu’il tomba presque défaillant entre leurs bras.

« Ces bonnes gens le secoururent de ce qu’ils avaient, lui donnèrent du pain, du vin, quelques légumes : il mangea, et s’endormit.

« À son réveil, son premier mot fut : « Olivier ! Enfants, ne savez-vous rien d’Olivier ? — Non, » lui répondirent-ils. Il leur raconta l’aventure de Reims ; il passa la nuit et le jour suivant avec eux. Il soupirait, il prononçait le nom d’Olivier ; il le croyait dans les prisons de Reims ; il voulait y