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flancs d’un coup de baïonnette, sans qu’il s’en fût aperçu. Il gagna la porte de la ville, mais il ne put aller plus loin ; des voituriers charitables le jetèrent sur leur charrette, et le déposèrent à la porte de sa maison un moment avant qu’il expirât ; il n’eut que le temps de dire à sa femme : « Femme, approche, que je t’embrasse ; je me meurs, mais le balafré est sauvé. »

Un soir que nous allions à la promenade, selon notre usage, nous vîmes au-devant d’une chaumière une grande femme debout, avec quatre petits enfants à ses pieds ; sa contenance triste et ferme attira notre attention, et notre attention fixa la sienne. Après un moment de silence, elle nous dit : « Voilà quatre petits enfants, je suis leur mère, et je n’ai plus de mari. » Cette manière haute de solliciter la commisération était bien faite pour nous toucher. Nous lui offrîmes nos secours, qu’elle accepta avec honnêteté : c’est à cette occasion que nous avons appris l’histoire de son mari Olivier et de Félix son ami. Nous avons parlé d’elle, et j’espère que notre recommandation ne lui aura pas été inutile. Vous voyez, petit frère, que la grandeur d’âme et les hautes qualités sont de toutes les conditions et de tous les pays ; que tel meurt obscur, à qui il n’a manqué qu’un autre théâtre ; et qu’il ne faut pas aller jusque chez les Iroquois pour trouver deux amis.

Dans le temps que le brigand Testalunga infestait la Sicile avec sa troupe, Romano, son ami et son confident, fut pris. C’était le lieutenant de Testalunga, et son second. Le père de ce Romano fut arrêté et emprisonné pour crimes. On lui promit sa grâce et sa liberté, pourvu que Romano trahît et livrât son chef Testalunga. Le combat entre la tendresse filiale et l’amitié jurée fut violent. Mais Romano père persuada son fils de donner la préférence à l’amitié, honteux de devoir la vie à une trahison. Romano se rendit à l’avis de son père. Romano père fut mis à mort ; et jamais les tortures les plus cruelles ne purent arracher de Romano fils la délation de ses complices.




Vous avez désiré, petit frère, de savoir ce qu’est devenu Félix ; c’est une curiosité si simple, et le motif en est si louable,