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Voici pourtant un distique que je ne saurais m’empêcher de citer, pour la grandeur et la vérité de l’image.


Et l’astre lumineux s’élançant des montagnes,
Jetait ses réseaux d’or sur les vertes campagnes.


Ce chant est terminé par l’empire de l’amour sur le cheval, le taureau, les lions, les tigres, le cygne, la tourterelle, le moineau.

En général, il y a trop de vers, trop de phénomènes ébauchés, indécis. On passe trop vite d’un aspect de nature à un autre ; on n’a pas le temps de voir et de reconnaître. De là, une confusion qui s’éclaircit un peu à une seconde lecture, mais qui fatigue à la première. Mais le pis, le vice originel, irrémédiable, c’est le manque de verve et d’invention. Il y a sans doute du nombre, de l’harmonie, du sentiment et des vers doux qu’on retient ; mais c’est partout la même touche, le même nombre, une monotonie qui vous berce, un froid qui vous gagne, une obscurité qui vous dépite, des tournures prosaïques, et, de temps en temps, des fins de descriptions plates et maussades. Je n’y trouve rien, en un mot, que j’aimasse mieux avoir fait que ces quatre lignes de Théocrite : « Je ne souhaite point la possession des trésors de Pelops, je n’envie point aux vents leur vitesse ; mais je chanterai sous cette roche, te pressant entre mes bras, en regardant la mer de Sicile. » Voilà une de ces images grandes et douces dont nous avons parlé plus haut. Je ne trouve pas à M. de Saint-Lambert assez d’habitude de la vie champêtre, assez de connaissance et d’étude de la nature rare. On ne rencontre dans son poëme presque aucun de ces phénomènes piquants qui nous font tressaillir et dire : Ah ! cela est vrai. Il n’a pas vu les champs jonchés de plumes, par la jalousie, dans les combats des oiseaux amoureux, et ces plumes ensuite ramassées par la tendresse, pour servir de lit aux petits qui doivent naître. Pourquoi M. de Saint-Lambert n’a-t-il pas trouvé tout cela avant moi ? C’est que son corps était aux champs, et que son âme était à la ville ; c’est qu’à côté de celle qu’il aimait, il ne s’entretenait jamais avec elle ; c’est qu’il n’a jamais attendu l’inspiration de la nature, et qu’il a prophétisé, pour me servir de l’expression de Naigeon, avant que l’Esprit fût descendu. S’il n’enivre pas, c’est qu’il n’était pas ivre. À l’aspect