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Numquid Pomponius istis
Audiret leviora, pater si viveret
[1] ?

Horat. Sermon. lib. I, sat. iv, vers. 52, 53.

Ressuscitez le père de Pomponius ; qu’il soit témoin des dissipations de son fils, et bientôt vous entendrez Chrémès parler par sa bouche. La mesure est si bien gardée qu’il n’y aura pas un mot de plus ou de moins : et croit-on qu’il n’y ait pas autant de génie à se modeler si rigoureusement sur la nature, qu’à en disposer d’une manière plus frappante peut-être, mais certainement moins vraie ?

Térence a peu de verve, d’accord. Il met rarement ses personnages dans ces situations bizarres et violentes qui vont chercher le ridicule dans les replis les plus secrets du cœur, et qui le font sortir sans que l’homme s’en aperçoive : j’en conviens. Comme c’est le visage réel de l’homme et jamais la charge de ce visage qu’il montre, il ne fait point éclater le rire. On n’entendra point un de ses pères s’écrier d’un ton plaisamment douloureux : Que diable allait-il faire dans cette galère[2] ? Il n’en introduira point un autre dans la chambre de son fils harassé de fatigue, endormi et ronflant sur un grabat : il n’interrompra point la plainte de ce père par le discours de l’enfant qui, les yeux toujours fermés et les mains placées comme s’il tenait les rênes de deux coursiers, les excite du fouet et de la voix, et rêve qu’il les conduit encore[3]. C’est la verve propre à Molière et à Aristophane qui leur inspire ces situations. Térence n’est pas possédé de ce démon-là. Il porte dans son sein une muse plus tranquille et plus douce. C’est sans doute un don plus précieux que celui qui lui manque ; c’est le vrai caractère que nature a gravé sur le front de ceux qu’elle a signés poëtes, sculpteurs, peintres et musiciens. Mais ce caractère est de tous les temps, de tous les pays, de tous les âges et de tous les états. Un Cannibale amoureux qui s’adresse à la couleuvre et qui lui dit : « Couleuvre, arrête-toi, couleuvre ! afin que ma sœur tire sur le patron de ton corps et de ta peau la façon et l’ouvrage d’un

  1. Diderot a écrit revivisceret.
  2. Molière, dans les Fourberies de Scapin, acte II, scène xi. (Br.)
  3. Comme dans les Guêpes d’Aristophane, imitées par Racine dans les Plaideurs. (Br.)