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de Scipion ! cet auteur qui a écrit sa langue avec tant d’élégance, de délicatesse et de pureté, qu’il n’a peut-être pas eu son égal ni chez les anciens, ni parmi les modernes ! Oui, Térence était esclave ; et si le contraste de sa condition et de ses talents nous étonne, c’est que le mot esclave ne se présente à notre esprit qu’avec des idées abjectes ; c’est que nous ne nous rappelons pas que le poète comique Cæcilius fut esclave ; que Phèdre le fabuliste fut esclave ; que le stoïcien Épictète fut esclave ; c’est que nous ignorons ce que c’était quelquefois qu’un esclave chez les Grecs et chez les Romains. Tout brave citoyen qui était pris les armes à la main, combattant pour sa patrie, tombait dans l’esclavage, était conduit à Rome la tête rase, les mains liées, et exposé à l’encan sur une place publique, avec un écriteau sur la poitrine qui indiquait son savoir-faire. Dans une de ces ventes barbares, le crieur, ne voyant point d’écriteau à un esclave qui lui restait, lui dit : Et toi, que sais-tu ? L’esclave lui répondit : Commander aux hommes. Le crieur se mit à crier : Qui veut un maître ? Et il crie peut-être encore.

Ce qui précède suffit pour expliquer comment il se faisait qu’un Épictète, ou tel autre personnage de la même trempe, se rencontrât parmi la foule des captifs ; et qu’on entendît autour du temple de Janus ou de la statue de Marsias : Messieurs, celui-ci est un philosophe. Qui veut un philosophe ? À deux talents le philosophe. Une fois, deux fois. Adjugé. Un philosophe trouvait sous Séjan moins d’adjudicataires qu’un cuisinier : on ne s’en souciait pas. Dans un temps où le peuple était opprimé et corrompu, où les hommes étaient sans honneur et les femmes sans honnêteté ; où le ministre de Jupiter était ambitieux et celui de Thémis vénal, où l’homme d’étude était vain, jaloux, flatteur, ignorant et dissipé ; un censeur philosophe n’était pas un personnage qu’on pût priser et chercher.

Une autre sorte d’esclaves, c’étaient ceux qui naissaient dans la maison d’un homme puissant, de pères et de mères esclaves. Si parmi ces derniers il y en avait qui montrassent dans leur jeunesse d’heureuses dispositions, on les cultivait ; on leur donnait les maîtres les plus habiles ; on consacrait un temps et des sommes considérables à leur instruction ; on en faisait des musiciens, des poëtes, des médecins, des littérateurs, des philosophes ; et il y aurait peu de jugement à confondre ces esclaves