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lettres dont vous nous avez honorées. J’avais gardé les unes, et j’ai trouvé les autres parmi des papiers qu’elle m’a remis quelques jours avant sa mort ; ils contiennent, à ce qu’elle m’a dit, l’histoire de sa vie chez ses parents et dans les trois maisons religieuses où elle a demeuré, et ce qui s’est passé après sa sortie. Il n’y a pas d’apparence que je les lise sitôt : je ne saurais rien voir de ce qui lui appartenait, rien même de ce que mon amitié lui avait destiné, sans ressentir une douleur profonde.

Si je suis assez heureuse, monsieur, pour vous être utile, je serai très-flattée de votre souvenir.

Je suis, avec les sentiments de respect et de reconnaissance qu’on doit aux hommes miséricordieux et bienfaisants, monsieur, votre très-humble et très-obéissante servante,

Signé : Moreau-Madin.
Ce 10 mai 1760.


LETTRE
de m. le marquis de croismare à madame madin.


Je sais, madame, ce qu’il en coûte à un cœur sensible et bienfaisant de perdre l’objet de son attachement, et l’heureuse occasion de lui dispenser des faveurs si dignement acquises, et par l’infortune, et par les aimables qualités, telles qu’ont été celles de la chère demoiselle qui cause aujourd’hui vos regrets. Je les partage, madame, avec la plus tendre sensibilité. Vous l’avez connue, et c’est ce qui vous rend sa séparation plus difficile à supporter. Sans avoir eu cet avantage, ses malheurs m’avaient vivement touché, et je goûtais par avance le plaisir de pouvoir contribuer à la tranquillité de ses jours. Si le ciel en a ordonné autrement, et a voulu me priver de cette satisfaction tant désirée, je dois l’en bénir ; mais je ne puis y être insensible. Vous avez du moins la consolation d’en avoir agi à son égard avec les sentiments les plus nobles et la conduite la plus généreuse. Je les ai admirés, et mon ambition eût été de vous imiter. Il ne me reste plus que le désir ardent d’avoir l’honneur de vous connaître, et de vous exprimer de vive voix combien j’ai été enchanté de votre grandeur d’âme, et avec quelle considération