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de vous, et qu’il vous est plus facile de me rendre en province qu’à Paris. Ce serait de me trouver, ou par vous-même ou par vos connaissances, à Caen ou ailleurs, une place de femme de chambre ou de femme de charge, ou même de simple domestique. Pourvu que je sois ignorée, chez d’honnêtes gens, et qui vivent retirés, les gages n’y feront rien. Que j’aie du pain et de l’eau, et que je sois à l’abri des recherches ; soyez sûr qu’on sera content de mon service. J’ai appris à travailler dans la maison de mon père, et à obéir en religion. Je suis jeune, j’ai le caractère doux et je suis d’une bonne santé. Lorsque mes forces seront revenues, j’en aurai assez pour suffire à toutes sortes d’occupations domestiques. Je sais broder, coudre et blanchir ; quand j’étais dans le monde, je raccommodais mes dentelles, et j’y serai bientôt remise. Je ne suis pas maladroite, je saurai me faire à tout. S’il fallait apprendre à coiffer, je ne manque pas de goût, et je ne tarderais pas à le savoir. Une condition supportable, s’il se peut, ou une condition telle quelle, c’est tout ce que je demande. Vous pouvez répondre de mes mœurs : malgré les apparences, monsieur, j’ai de la piété. Il y avait au fond de la maison que j’ai quittée, un puits que j’ai souvent regardé ; tous mes maux seraient finis, si Dieu ne m’avait retenue. Monsieur, que je ne retourne pas dans cette maison funeste ! Rendez-moi le service que je vous demande ; c’est une bonne œuvre dont vous vous souviendrez avec satisfaction tant que vous vivrez, et que Dieu récompensera dans ce monde ou dans l’autre. Surtout, monsieur, songez que je vis dans une alarme perpétuelle et que je vais compter les moments. Mes parents ne peuvent douter que je ne sois à Paris ; ils font sûrement toutes sortes de perquisitions pour me découvrir ; ne leur laissez pas le temps de me trouver. J’ai emporté avec moi toutes mes nippes. Je subsiste de mon travail et des secours d’une digne femme que j’avais pour amie et à laquelle vous pouvez adresser votre réponse. Elle s’appelle Mme Madin. Elle demeure à Versailles. Cette bonne amie me fournira tout ce qu’il me faudra pour mon voyage ; et quand je serai placée, je n’aurai plus besoin de rien, et ne lui serai plus à charge. Monsieur, ma conduite justifiera la protection que vous m’aurez accordée : quelle que soit la réponse que vous me ferez, je ne me plaindrai que de mon sort.