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d’intérêt, d’une jeune religieuse de Longchamp qui réclamait juridiquement contre ses vœux, auxquels elle avait été forcée par ses parents. Cette pauvre recluse intéressa tellement notre marquis, que, sans l’avoir vue, sans savoir son nom, sans même s’assurer de la vérité des faits, il alla solliciter en sa faveur tous les conseillers de grand’chambre du parlement de Paris. Malgré cette intercession généreuse, je ne sais par quel malheur, la sœur Suzanne Simonin perdit son procès, et ses vœux furent jugés valables. {{M.|Diderot[1] résolut de faire revivre cette aventure à notre profit. Il supposa que la religieuse en question avait eu le bonheur de se sauver de son couvent ; et en conséquence écrivit en son nom à M. de Croismare pour lui demander secours et protection. Nous ne désespérions pas de le voir arriver en toute diligence au secours de sa religieuse ; ou, s’il devinait la scélératesse au premier coup d’œil et que notre projet manquât, nous étions sûrs qu’il nous en resterait du moins une ample matière à plaisanterie. Cette insigne fourberie prit une tout autre tournure, comme vous allez voir par la correspondance que je vais mettre sous vos yeux, entre M. Diderot ou la prétendue religieuse et le loyal et charmant marquis de Croismare, qui ne se douta pas un instant de notre perfidie : c’est cette perfidie que nous avons eue longtemps sur notre conscience. Nous passions alors nos soupers à lire, au milieu des éclats de rire, des lettres qui devaient faire pleurer notre bon marquis ; et nous y lisions, avec ces mêmes éclats de rire, les réponses honnêtes que ce digne et généreux ami y faisait. Cependant, dès que nous nous aperçûmes que le sort de notre infortunée commençait à trop intéresser son tendre bienfaiteur, M. Diderot prit le parti de la faire mourir, préférant de causer quelque chagrin au marquis au danger évident de le tourmenter plus cruellement peut-être en la laissant vivre plus longtemps. Depuis son retour à Paris, nous lui avons avoué ce complot d’iniquité ; il en a ri, comme vous pouvez penser ; et le malheur de la pauvre religieuse n’a fait que resserrer les liens d’amitié entre ceux qui lui ont survécu. Cependant il n’en a jamais parlé à M. Diderot. Une circonstance qui n’est pas la

  1. Dans}} la rédaction que nous suivons, M. Diderot est partout substitué au Nous des éditions précédentes. Il devient l’âme de cette intrigue, comme de celle qu’il a mise en scène dans : Est-il bon, est-il méchant ?