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nait et aux libertés qu’il se permettait, qu’on ne tenait avec moi aucune des conditions qu’on avait stipulées ; alors je regrettai ma cellule, et je sentis toute l’horreur de ma situation.


C’est ici que je peindrai ma scène dans le fiacre. Quelle scène ! Quel homme ! Je crie ; le cocher vient à mon secours. Rixe violente entre le fiacre et le moine.


J’arrive à Paris. La voiture arrête dans une petite rue, à une porte étroite qui s’ouvrait dans une allée obscure et malpropre. La maîtresse du logis vient au-devant de moi, et m’installe à l’étage le plus élevé, dans une petite chambre où je trouve à peu près les meubles nécessaires. Je reçois des visites de la femme qui occupait le premier. « Vous êtes jeune, vous devez vous ennuyer, mademoiselle. Descendez chez moi, vous y trouverez bonne compagnie en hommes et en femmes, pas toutes aussi aimables, mais presque aussi jeunes que vous. On cause, on joue, on chante, on danse ; nous réunissons toutes les sortes d’amusements. Si vous tournez la tête à tous nos cavaliers, je vous jure que nos dames n’en seront ni jalouses ni fâchées. Venez, mademoiselle… » Celle qui me parlait ainsi était d’un certain âge, elle avait le regard tendre, la voix douce, et le propos très-insinuant.


Je passe une quinzaine dans cette maison, exposée à toutes les instances de mon perfide ravisseur, et à toutes les scènes tumultueuses d’un lieu suspect, épiant à chaque instant l’occasion de m’échapper.


Un jour enfin je la trouvai ; la nuit était avancée : si j’eusse été voisine de mon couvent, j’y retournais. Je cours sans savoir où je vais. Je suis arrêtée par des hommes ; la frayeur me saisit. Je tombe évanouie de fatigue sur le seuil de la boutique d’un chandelier ; on me secourt ; en revenant à moi, je me trouve étendue sur un grabat, environnée de plusieurs personnes. On me demande qui j’étais ; je ne sais ce que je répondis. On me donna la servante de la maison pour me conduire ; je prends son bras ; nous marchons. Nous avions déjà fait beaucoup de chemin, lorsque cette fille me dit : « Mademoiselle, vous savez apparemment où nous allons ?

— Non, mon enfant ; à l’hôpital, je crois.