Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.

être utile aux gens assez fous (car il en est) pour s’affliger de la destruction de ces abominables demeures, et pour espérer leur rétablissement.

« Ce singulier et attachant ouvrage restera comme un monument de ce qu’étaient autrefois les couvents, fléau né de l’ignorance et du fanatisme en délire, contre lequel les philosophes avaient si longtemps et si vainement réclamé, et dont la révolution française délivrera l’Europe, si l’Europe ne s’obstine pas à vouloir faire des pas rétrogrades vers la barbarie et l’abrutissement. »

Quant à Devaines, son compte rendu parut d’abord dans les Nouvelles politiques du 6 brumaire an V. Il le plaça ensuite dans son Recueil de quelques articles tirés de différents ouvrages périodiques, an VII (1799), recueil tiré d’abord à quatorze exemplaires par les soins de la duchesse de Montmorency Albert Luynes, dans son château de Dampierre ; puis à plus grand nombre dans une édition également in-4o, destinée au public.

Le voici :

« Une jeune fille est forcée par ses parents à prononcer des vœux. Ce fonds est très-commun ; mais ce qui ne l’est pas, c’est le motif qui détermine la mère à sacrifier sa fille ; c’est l’énergie du caractère de celle-ci ; c’est le genre de persécutions qu’elle éprouve ; c’est surtout cette idée si neuve et si philosophique de n’avoir fondé l’aversion insurmontable de la religieuse pour son état, ni sur l’amour, ni sur l’incrédulité, ni sur le goût de la dissipation. Si elle hait le couvent, ce n’est pas parce qu’une passion le lui rend odieux, c’est parce qu’il répugne à sa raison ; ce n’est pas qu’elle soit sans piété, c’est qu’elle est sans superstition ; ce n’est pas qu’elle veuille vivre dans la licence, c’est parce qu’elle ne veut pas mourir dans l’esclavage.

« Pour que le tableau de la vie monastique en présentât toutes les horreurs, l’infortunée passe successivement sous le despotisme de cinq supérieures, dont l’une est artificieuse, la seconde enthousiaste, la troisième féroce, la quatrième dissolue et la dernière superstitieuse.

« Ces portraits sont tous d’un grand maître ; trois surtout rappelleront souvent vos regards.

« Voyez celui d’une prieure dont la dévotion a attendri le cœur et exalté la tête. Son éloquence est ardente ; ses paroles celles d’une inspirée ; ses prières des actes d’amour. Les sœurs qu’elle juge dignes d’une communication intime ressentent bientôt la même ferveur ; elle leur fait éprouver le besoin et goûter les charmes des consolations intérieures ; elle les échauffe, pleure avec elles, et leur transmet les impressions célestes dont elle est enivrée. Quelquefois même son âme devient languissante, aride, ne reçoit plus le don d’émouvoir ; elle comprend