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la corde au cou ; je crois qu’elles vont disposer de votre vie ; je frissonne, je tremble ; une sueur froide se répand sur tout mon corps ; je veux aller à votre secours ; je pousse des cris, je m’éveille, et c’est inutilement que j’attends que le sommeil revienne. Voilà ce qui m’est arrivé cette nuit ; j’ai craint que le ciel ne m’annonçât quelque malheur arrivé à mon amie ; je me suis levée, je me suis approchée de votre porte, j’ai écouté ; il m’a semblé que vous ne dormiez pas ; vous avez parlé, je me suis retirée ; je suis revenue, vous avez encore parlé, et je me suis encore éloignée ; je suis revenue une troisième fois ; et lorsque j’ai cru que vous dormiez, je suis entrée. Il y a déjà quelque temps que je suis à côté de vous, et que je crains de vous éveiller : j’ai balancé d’abord si je tirerais vos rideaux ; je voulais m’en aller, crainte de troubler votre repos ; mais je n’ai pu résister au désir de voir si ma chère Suzanne se portait bien ; je vous ai regardée : que vous êtes belle à voir, même quand vous dormez !

— Ma chère mère, que vous êtes bonne !

— J’ai pris du froid ; mais je sais que je n’ai rien à craindre de fâcheux pour mon enfant, et je crois que je dormirai. Donnez-moi votre main. »

Je la lui donnai.

« Que son pouls est tranquille ! qu’il est égal ! rien ne l’émeut.

— J’ai le sommeil assez paisible.

— Que vous êtes heureuse !

— Chère mère, vous continuerez de vous refroidir.

— Vous avez raison ; adieu, belle amie, adieu, je m’en vais. »

Cependant elle ne s’en allait point, elle continuait à me regarder ; deux larmes coulèrent de ses yeux. « Chère mère, lui dis-je, qu’avez-vous ? vous pleurez ; que je suis fâchée de vous avoir entretenue de mes peines !… » À l’instant elle ferma ma porte, elle éteignit sa bougie, et elle se précipita sur moi. Elle me tenait embrassée ; elle était couchée sur ma couverture à côté de moi ; son visage était collé sur le mien, ses larmes mouillaient mes joues ; elle soupirait, et elle me disait d’une voix plaintive et entrecoupée : « Chère amie, ayez pitié de moi !