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s’était si peu répandue hors des sociétés du baron d’Holbach et de Mme d’Épinay, que Grimm lui-même, en 1770, n’en parlait que comme d’une ébauche inachevée et très-probablement perdue. Voilà donc toute la fable de l’influence du roman sur les législateurs de 1790 à vau-l’eau.

Nous ne faisons pas cette rectification pour diminuer l’influence qu’a pu exercer Diderot sur la Révolution. C’est, outre la préoccupation de l’exactitude, parce que cette influence n’est pas, selon nous, celle qu’on lui attribue trop généralement, par souvenir de l’identification, tentée à un moment par La Harpe, de ses doctrines et de celles de Babeuf.

À qui devons-nous connaissance de ce merveilleux ouvrage ? nous ne le savons : c’est le libraire Buisson qui l’imprima ; mais d’où lui venait la copie, il ne le dit pas. Il y joignit l’extrait de la Correspondance de Grimm, qu’on a toujours placé depuis à la suite du roman, avec raison, quoi qu’en ait pu penser Naigeon, auquel nous répondrons à ce sujet.

Ce qui est vrai, c’est que l’effet produit avec ou sans l’addition de Grimm fut prodigieux ; que les éditions se multiplièrent dans tous les formats, et que, malgré deux condamnations, en 1824 et en 1826, sous un régime ouvertement clérical, elles n’ont pas cessé de se renouveler. Nous citerons, outre celles de Buisson, in-8o  de 411 pages, 1796, et, même date, 2 volumes in-18, avec figures, celles de Berlin (Paris), 1797, in-12 ; Maradan, 1798, in-12, frontispice ; 1799, in-8o , portrait et figures gravés par Dupréel ; 1804, 2 vol. in-8o  avec figures de Le Barbier (les mêmes que celles de l’édition de 1799) ; Taillard, 1822, in-18 ; Pigoreau, 1822, in-12 ; Ladrange-Lheureux, 1822, in-12, portrait et une figure, gravés par Couché fils ; Ladrange, 1830, in-18 ; Hiard, 1831, in-18 ; 1832, in-18, figures ; 1832, in-8o , figures ; Rignoux, 1833, in-18 ; Chassaignon, 1833, in-18, figures ; 1834, in-18 ; 1841, in-18, figures ; Bry, 1849, in-4o , figures…; enfin celle : France et Belgique (Bruxelles), 1871, in-12, portrait d’après Garand, gravé à l’eau-forte par Rajon.

La Religieuse a été traduite en allemand[1], en anglais et en espagnol.

Cette nomenclature prouve au moins une chose : c’est que, si tous les livres ont leur destin, celui des chefs-d’œuvre, malgré toutes les persécutions, est de ne pas périr.

Nous appelons la Religieuse un chef-d’œuvre, et c’est un chef-d’œuvre tel, qu’il ne peut être touché sans perdre une partie de sa valeur et sans devenir même dangereux[2]. Comment eût-on voulu que

  1. Par C.-F. Kramer, in-8o  ; Riga, 1797.
  2. C’est ce qui est arrivé pour l’édition de la Religieuse de M. Génin, dans les Œuvres choisies de Diderot (in-18, Firmin Didot, 1856). Les points qui remplacent certains passages, ces points mystérieux, paraissent gros d’horreurs et de monstruosités, et, certes, font plus rêver les jeunes gens que ne le ferait le texte même. Il en est de ces réticences maladroites comme des questions inconsidérées des confesseurs.