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— Aucun.

— Je le crois ; vous me paraissez d’un caractère tranquille.

— Assez.

— Froid, même.

— Je ne sais.

— Vous ne connaissez pas le monde ?

— Je le connais peu.

— Quel attrait peut-il donc avoir pour vous ?

— Cela ne m’est pas bien expliqué ; mais il faut pourtant qu’il en ait.

— Est-ce la liberté que vous regrettez ?

— C’est cela, et peut-être beaucoup d’autres choses.

— Et ces autres choses, quelles sont-elles ? Mon amie, parlez-moi à cœur ouvert ; voudriez-vous être mariée ?

— Je l’aimerais mieux que d’être ce que je suis ; cela est certain.

— Pourquoi cette préférence ?

— Je l’ignore.

— Vous l’ignorez ? Mais, dites-moi, quelle impression fait sur vous la présence d’un homme ?

— Aucune ; s’il a de l’esprit et qu’il parle bien, je l’écoute avec plaisir ; s’il est d’une belle figure, je le remarque.

— Et votre cœur est tranquille ?

— Jusqu’à présent, il est resté sans émotion.

— Quoi ! lorsqu’ils ont attaché leurs regards animés sur les vôtres, vous n’avez pas ressenti…

— Quelquefois de l’embarras ; ils me faisaient baisser les yeux.

— Et sans aucun trouble ?

— Aucun.

— Et vos sens ne vous disaient rien ?

— Je ne sais ce que c’est que le langage des sens.

— Ils en ont un, cependant.

— Cela se peut.

— Et vous ne le connaissez pas ?

— Point du tout.

— Quoi ! vous… C’est un langage bien doux ; et voudriez-vous le connaître ?

— Non, chère mère ; à quoi cela me servirait-il ?