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vêtement ; sa figure est plutôt bien que mal ; ses yeux, dont l’un, c’est le droit, est plus haut et plus grand que l’autre, sont pleins de feu et distraits : quand elle marche, elle jette ses bras en avant et en arrière. Veut-elle parler ? elle ouvre la bouche, avant que d’avoir arrangé ses idées ; aussi bégaye-t-elle un peu. Est-elle assise ? elle s’agite sur son fauteuil, comme si quelque chose l’incommodait : elle oublie toute bienséance ; elle lève sa guimpe pour se frotter la peau ; elle croise les jambes ; elle vous interroge ; vous lui répondez, et elle ne vous écoute pas ; elle vous parle, et elle se perd, s’arrête tout court, ne sait plus où elle en est, se fâche, et vous appelle grosse bête, stupide, imbécile, si vous ne la remettez sur la voie : elle est tantôt familière jusqu’à tutoyer, tantôt impérieuse et fière jusqu’au dédain ; ses moments de dignité sont courts ; elle est alternativement compatissante et dure ; sa figure décomposée marque tout le décousu de son esprit et toute l’inégalité de son caractère ; aussi l’ordre et le désordre se succédaient-ils dans la maison ; il y avait des jours où tout était confondu, les pensionnaires avec les novices, les novices avec les religieuses ; où l’on courait dans les chambres les unes des autres ; où l’on prenait ensemble du thé, du café, du chocolat, des liqueurs ; où l’office se faisait avec la célérité la plus indécente ; au milieu de ce tumulte le visage de la supérieure change subitement, la cloche sonne ; on se renferme, on se retire, le silence le plus profond suit le bruit, les cris et le tumulte, et l’on croirait que tout est mort subitement. Une religieuse alors manque-t-elle à la moindre chose ? elle la fait venir dans sa cellule, la traite avec dureté, lui ordonne de se déshabiller et de se donner vingt coups de discipline ; la religieuse obéit, se déshabille, prend sa discipline, et se macère ; mais à peine s’est-elle donné quelques coups, que la supérieure, devenue compatissante, lui arrache l’instrument de pénitence, se met à pleurer, dit qu’elle est bien malheureuse d’avoir à punir, lui baise le front, les yeux, la bouche, les épaules ; la caresse, la loue[1]. « Mais, qu’elle a la peau blanche et douce ! le bel embonpoint ! le beau cou ! le beau chignon !… Sœur Sainte-

  1. De cet endroit jusqu’à : « On est très-mal avec ces femmes-là… » M. Génin met des points.