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texte qu’elle était trop délicate pour suffire à cette fatigue : ce fut un véritable chagrin pour elle. Tous ses soins n’empêchèrent point les progrès du mal ; je fus réduite à toute extrémité ; je reçus les derniers sacrements. Quelques moments auparavant je demandai à voir la communauté assemblée, ce qui me fut accordé. Les religieuses entourèrent mon lit, la supérieure était au milieu d’elles ; ma jeune amie occupait mon chevet, et me tenait une main qu’elle arrosait de ses larmes. On présuma que j’avais quelque chose à dire, on me souleva, et l’on me soutint sur mon séant à l’aide de deux oreillers. Alors, m’adressant à la supérieure, je la priai de m’accorder sa bénédiction et l’oubli des fautes que j’avais commises ; je demandai pardon à toutes mes compagnes du scandale que je leur avais donné. J’avais fait apporter à côté de moi une infinité de bagatelles, ou qui paraient ma cellule, ou qui étaient à mon usage particulier, et je priai la supérieure de me permettre d’en disposer ; elle y consentit, et je les donnai à celles qui lui avaient servi de satellites lorsqu’on m’avait jetée dans le cachot. Je fis approcher la religieuse qui m’avait conduite par la corde le jour de mon amende honorable, et je lui dis en l’embrassant et en lui présentant mon rosaire et mon christ : « Chère sœur, souvenez-vous de moi dans vos prières, et soyez sûre que je ne vous oublierai pas devant Dieu… » Et pourquoi Dieu ne m’a-t-il pas prise dans ce moment ? J’allais à lui sans inquiétude. C’est un si grand bonheur ! et qui est-ce qui peut se le promettre deux fois ? qui sait ce que je serai au dernier moment ? il faut pourtant que j’y vienne. Puisse Dieu renouveler encore mes peines, et me l’accorder aussi tranquille que je l’avais ! Je voyais les cieux ouverts, et ils l’étaient, sans doute ; car la conscience alors ne trompe pas, et elle me promettait une félicité éternelle.

Après avoir été administrée, je tombai dans une espèce de léthargie ; on désespéra de moi pendant toute cette nuit. On venait de temps en temps me tâter le pouls ; je sentais des mains se promener sur mon visage, et j’entendais différentes voix qui disaient, comme dans le lointain : « Il remonte… Son nez est froid… Elle n’ira pas à demain… Le rosaire et le christ vous resteront… » Et une autre voix courroucée qui disait : « Éloignez-vous, éloignez-vous ; laissez-la mourir en paix ; ne l’avez-