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252 LETTRE D’ENVOI.

l’originalité, de la force, de la verve, de la gaieté, du naturel et même de la suite. La plupart de ces qualités si essentielles au dialogue se sont évanouies de ceux-ci ; ce ne sont que des ressouvenirs décousus des premiers. Si le lecteur y remarque quelque trace du génie, c’est assez.

Je vous rappellerai la parole sacrée qui vous engage à ne les communiquer à personne, je n’en excepte que votre ami ; si vous jugez à propos de les lui confier, j’y consens ; mais je le supplie par votre bouche, de ne me juger qu’après m’avoir médité, de ne prendre aucun extrait de cette informe et dangereuse production dont la publicité disposerait sans ressource de mon repos, de ma fortune, de ma vie et de mon honneur ou de la juste opinion qu’on a conçue de mes mœurs ; de se rappeler la différence d’une morale illicite et d’une morale criminelle, et de ne pas oublier que l’homme de bien ne fait rien de criminel, ni le bon citoyen d’illicite ; qu’il est une doctrine spéculative qui n’est ni pour la multitude, ni pour la pratique, et que si, sans être faux, on n’écrit pas tout ce que l’on fait, sans être inconséquent on ne fait pas tout ce qu’on écrit.

En changeant les noms des interlocuteurs, ces dialogues ont encore perdu le mérite de la comédie.

Tels qu’ils sortirent de ma tête, c’étaient, avec un certain Mémoire de mathématiques que je me résoudrai peut-être à publier un jour, les seuls d’entre mes ouvrages dans lesquels je me complaisais.

Il restera peu de chose à savoir dans ce genre de métaphysique à celui qui aura la patience de les relire deux ou trois fois et de les entendre.

Après l’auteur qui nous apprend la vérité, le meilleur est celui dont les erreurs singulières nous y conduisent.