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que certains bossus sont hébétés et que leur physionomie l’annonce.

Or je demande si, pour exceller dans les arts de peinture et de sculpture, il est nécessaire de savoir tout cela ? Il me semble que non. La simple observation de ce qui a lieu chez un bossu suffit pour faire sentir les différences qui se rencontrent entre la conformation de ses parties et celles des personnes bien faites. Les différences saisies seront-elles mieux ou plus facilement exprimées parce que la cause en sera connue de l’artiste ?

Je vous citerai un second exemple : un homme a perdu un bras, une jambe, un autre est boiteux. Le premier est gros et lourd ; en général, sa physionomie perd ce qu’elle avait de saillant et d’animé ; le second est ordinairement maigre, et son visage a quelque chose de singulier pour ne pas dire de comique et d’original, les gestes de cet homme ont le même caractère[1]. Pour rendre tout cela, un artiste n’a que faire de savoir que l’homme mutilé devient gras et pesant par la même raison que les gens oisifs et les grands mangeurs sont tels. Les sucs qui étaient employés à la nourriture du membre coupé, cessant d’avoir leur emploi, surabondent, surchargent et font ce que les médecins appellent pléthore, laquelle amène la pesanteur, etc. Quant au boiteux, les efforts qu’il fait sans cesse pour marcher droit lui font faire une grande dépense d’esprits, ce qui le rend maigre, et comme les hommes ne font guère d’efforts sans grimacer, les efforts des boiteux leur font mettre en jeu tous les muscles de leur visage, ce qui donne à ce visage une tournure ridicule, une expression comique. Mais encore une fois l’artiste n’en imitera pas plus exactement la nature quand il aura appris tout cela. Les artistes savent bien que la beauté n’est pas la même pour tous ; un enfant a une beauté qui lui est propre, l’adolescent a la sienne, celle de l’homme fait n’est pas la même, encore moins celle du vieillard ! Les femmes ont les genoux plus en dedans, les hanches plus larges, le bas des reins plus saillant, le ventre plus étendu, la poitrine plus élevée, mais plus courte, etc.

Les anatomistes développent les causes de toutes ces différences ; quand il serait possible de faire philosopher des artistes au point de connaître toutes ces causes, je suis sûr qu’ils n’en seraient pas des dessinateurs plus élégants et plus corrects.

Plus une partie agit et plus, par l’influence des sucs et leur action

  1. Il est très-présumable que c’est d’après cette observation de Petit que Diderot a fait Jacques le fataliste, légèrement boiteux.