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SUR DEUX MÉMOIRES DE D’ALEMBERT.

tique. — Soit la vie moyenne d’un homme de trente ans, de trente autres aimées, continue M. d’Alembert ; que par l’inoculation cette vie devienne de trente-quatre ans, voilà quatre ans de gagnés. — Oui, mais de gagnés autant de fois qu’il y aura d’inoculés, et où cette somme d’années n’est-elle pas portée chez un peuple nombreux ? — Oui, reprend M. d’Alembert, mais on risque de mourir, en un mois, à trente ans, à la fleur de son âge, pour l’avantage éloigné, incertain de vivre quatre ans de plus à soixante ans, lorsque l’infirmité commence et que la vie ne vaut guère la peine qu’on en fasse cas. N’est-ce pas le cas d’un joueur imprudent qui risque à un jeu où il y a deux cents à gagner pour un, tout son bien dans une journée, sur l’espérance d’y ajouter une petite somme ? — Mais c’est qu’il n’y a pas seulement 200 à parier contre 1 qu’on gagnera, mais 1,200, mais 1,500, mais 3,000, mais 10,000 qu’on gagnera, ce qui, de votre aveu, réduit la probabilité de la perte à zéro, et pourquoi effrayer les hommes par de fausses suppositions ?

Les mères, dit M. d’Alembert, sentent tacitement et d’instinct qu’elles ne peuvent comparer exactement leur crainte avec leur espérance, et c’est là qui les arrête. — Et il est fort mal d’ajouter encore par des subtilités à leurs alarmes mal fondées.

Si l’inoculation, continue M. d’Alembert, était avantageuse par la considération seule que la vie moyenne des inoculés en est augmentée, elle serait d’autant plus avantageuse qu’elle l’augmenterait davantage ; or, il y a une infinité de cas où l’accroissement serait énorme, et où personne n’aurait l’imprudence de se soumettre à l’opération. Exemple : soit par hypothèse, la plus longue vie de l’homme de cent ans, soit par hypothèse la petite vérole, la seule maladie mortelle, et qu’elle emportât tous les ans la moitié des malades. La vie moyenne de ceux qui l’attendraient serait de cinquante ans. Je suppose, ajoute M. d’Alembert, que l’inoculation garantit pour le reste de la vie…, — Comme cela est, —… n’enlevât qu’un malade sur cinq et assurât aux autres une vie de cent ans ; alors la vie moyenne des inoculés serait de quatre-vingts ans. Cependant qui est-ce qui, pour gagner trente années de plus, oserait courir le risque de un contre quatre de perdre la vie. Donc la considération, suite du plus grand accroissement de la vie