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SUR DEUX MÉMOIRES DE D’ALEMBERT.

Que si Pierre donnait cinquante écus à Jacques et que l’on fixât à cent le nombre des coups à jouer, il faudrait pour que Pierre rattrapât cette somme en jouant, que croix ne vînt qu’au septième coup, risque qu’assurément personne ne voudrait courir.

Un habile géomètre (c’est, je crois, M. Fontaine[1]) a remarqué que l’enjeu de Pierre n’était ni infini ni indéterminé ; que quelque richesse qu’on supposât aux joueurs, ils n’auraient pas de quoi jouer cent coups et qu’ainsi l’enjeu de Pierre n’excédait pas cinquante écus.

M. d’Alembert dit encore à cela que pour ravoir cette mise de cinquante écus, il faudrait que croix n’arrivât qu’au septième coup ; qu’il y a 127 à parier contre 1 qu’il arrivera plus tôt et que Pierre perdra sa mise en tout ou en partie ;

Qu’il n’y a pas un homme sensé qui donnât 78 125 livres d’un billet de loterie composée de cent vingt-sept mauvais billets contre un bon, de dix millions ;

Et si l’on a égard, ajoute-t-il, au tort qu’une perte de 78 125 livres ferait à la fortune d’un joueur ; donc la mise ne sera plus purement et simplement proportionnelle à la somme espérée[2].

D’où M. d’Alembert conclut que, quand la probabilité d’un événement est fort petite, il faut la traiter comme nulle, et ne la point multiplier par le gain espéré, quelque considérable qu’il soit, pour trouver l’espérance ou l’enjeu, c’est-à-dire qu’alors il n’y a somme au monde qui puisse compenser le risque.

Il ajoute qu’en jouant à croix ou pile, les combinaisons où les croix et les piles seront le plus mêlées seront aussi les plus fréquentes. Il entend par être mêlé, ne pas arriver un grand nombre de fois de suite, et il regarde ces cas comme plus probables et plus possibles que les autres.

Il distingue un possible métaphysique et un possible physique ; il comprend sous le premier tout ce qui n’implique aucune contradiction, quelque rare ou extraordinaire qu’il soit. Sous le second, tout ce qui est commun, fréquent et selon le cours journalier des événements. Ainsi, d’après cette idée, il est d’une pos-

  1. Voir le Recueil des Mémoires de M. Fontaine.
  2. Tout ceci n’est point extrait textuellement de D’Alembert. Diderot suit le raisonnement, mais ne prend pas les mêmes chiffres.