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leur entretien. Les Américains furent, comme on le pense bien, révoltés, et de l’impôt et de l’emploi de l’impôt.

Le démêlé de l’Angleterre avec ses colonies en est là ; et c’est pour confirmer les Anglais de l’Amérique dans leur opposition à ces deux points que les Lettres du fermier ont été écrites. Ces Lettres sont pleines de raison, de simplicité et de véritable éloquence. Elles ont eu quarante éditions à Londres en moins d’une année. Un monsieur Dickinson, qui en est l’auteur, est à peine âgé de trente-trois ans. Il exerce la profession d’avocat à Philadelphie, où il a été surnommé le Démosthène de l’Amérique. En considération de son rôle patriotique, un ecclésiastique de la Virginie lui a envoyé en présent dix mille livres sterling. Les femmes de Boston ont renoncé aux rubans, jusqu’à ce que cette affaire soit finie. Elle finira comme elle pourra ; en attendant, celui qui le premier a mis les colonies dans le cas de prendre leur quant à moi, est un fou.

J’ai été un peu surpris de voir paraître ici la traduction de ces Lettres. Je ne connais aucun ouvrage plus propre à instruire les peuples de leurs droits inaliénables, et à leur inspirer un amour violent de la liberté. Parce que M. Dickinson parlait à des Américains, ils n’ont pas conçu que ses discours s’adressaient à tous les hommes. Mon dessein était de vous en recueillir les principes généraux ; mais je m’en tiendrai à quelques morceaux de la dernière lettre, qui a pour titre : Assoupissement, avant-coureur de l’esclavage. Voici comme elle commence :

« Un peuple marche à grands pas vers sa destruction, lorsque les particuliers considèrent leurs propres intérêts comme indépendants de ceux du public. De telles idées sont fatales à leur patrie et à eux-mêmes. Cependant combien n’y a-t-il pas d’hommes assez faibles et assez vils, pour croire qu’ils remplissent tous les devoirs de la vie, lorsqu’ils travaillent avec ardeur à accroître leurs richesses, leur puissance et leur crédit, sans avoir le moindre égard à la société sous la protection de laquelle ils vivent ; qui, lorsqu’ils peuvent obtenir un avantage immédiat et personnel, en prêtant leur assistance à ceux dont les projets tendent manifestement au détriment de leur patrie, se félicitent de leur adresse, et se croient fondés à s’arroger le titre de fins politiques ? Misérables ! dont il est difficile de dire s’ils sont plus dignes de mépris que de pitié, mais dont les