Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pent les tribunaux de judicature, et vous vendent la justice au plus offrant et dernier enchérisseur. C’est, je crois, le seul pays au monde où il y ait de faux témoins de profession, et cependant ils ont un code de lois très-sages et très-bien rédigées qui servent de supplément au Koran. Les prêtres et les ministres de la justice, ces abominables moulahs, sont les barrières du despotisme : ces gens qui enfreignent les lois avec une impudence qui ne se conçoit pas y assujettissent le sultan. Les droits de la propriété, selon notre auteur, sont sacrés en Turquie ; les enfants succèdent à leurs pères, et ne peuvent être dépouillés par l’autorité arbitraire. Si vous allez là, et que vous persistiez dans votre luthéranisme, vous aurez un moyen très-sûr de transmettre votre richesse à vos hoirs et ayants cause. Mettez-vous sous l’abri du vacuf ; ce vacuf est un acte par lequel vous léguerez vos biens à la Mecque ou à quelque maison religieuse, en cas que vous veniez à manquer de successeurs en ligne directe ; alors vos biens deviennent inattaquables. Vous voyez que le vacuf doit tout engloutir à la longue ; mais, croyez-moi, quoique l’ambassade à la Porte soit peut-être la plus lucrative de toutes, ne la prenez pas si on vous l’offre, ou résolvez-vous aux cérémonies les plus humiliantes. Il n’y a mérite personnel, naissance ni autres distinctions qui tiennent, vous serez un giaour, on vous le dira ; rien ne pallie, aux yeux d’un musulman, la tache d’infidèle. Il n’y a point de contrée au monde où la religion ait autant d’influence sur les mœurs : il est presque impossible à un juif, un grec, un chrétien, d’échapper à l’insulte ou à la vexation. Il y a peu de justice d’un musulman riche à un musulman pauvre ; il n’y en a point d’un musulman à un infidèle, à moins que votre droit ne soit plus clair que le jour et appuyé d’une bonne bourse d’or. Les femmes, du moins celles qu’on achète, n’y ont pas l’ombre de l’honnêteté et de la décence, etc.

Il y a peu de chose dans cet ouvrage-ci ; malgré cela il porte un caractère de vérité qui ne vous permettra pas de douter de ce que vous y trouverez, et c’est bien quelque chose que cela.