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« Les complices fuient presque toujours aussitôt que leur compagnon est arrêté. Le supplice des coupables effraye les autres hommes et les détourne du crime, ce qui est l’unique but des châtiments. » Chap. xii.

Cette raison est bien faible ! Ils fuient d’une forêt dans une autre forêt. Ils passent d’une ville dans une autre ; mais s’exilent-ils d’un État ? Et quand ils s’en exileraient, l’humanité envers un coupable doit-elle l’emporter sur le soin de délivrer les peuples des brigands et des assassins qu’on leur envoie par une fausse compassion ? Pensez que quelques minutes de tourments dans un scélérat (convaincu), peuvent sauver la vie à cent innocents que vont égorger ses complices, et la question vous paraîtra (alors) un acte d’humanité.


« Le tribunal qui emploie l’impunité pour connaître un crime montre qu’on peut cacher ce crime, puisqu’il ne le connaît pas ; et les lois découvrent leur faiblesse, en implorant le secours du scélérat même qui les a violées. » Chap. xiv.

L’incertitude des tribunaux, et la faiblesse de la loi à l’égard d’un crime inconnu, sont de notoriété publique. On tâcherait en vain de les dissimuler ; et rien ne peut balancer l’avantage de jeter la défiance entre les scélérats, de les rendre suspects et redoutables l’un à l’autre, et de leur faire craindre sans cesse, dans leurs complices, autant d’accusateurs. Cela n’invite à la lâcheté que les méchants ; et tout ce qui leur ôte le courage, est utile. — La délicatesse de l’auteur est d’une âme noble et généreuse ; mais la morale humaine, dont les lois sont la base, a pour objet l’ordre public, et ne peut admettre au rang de ses vertus la fidélité des scélérats entre eux, pour troubler l’ordre et violer les lois avec plus de sécurité. Dans une guerre ouverte, on reçoit les transfuges ; à plus forte raison doit-on les recevoir dans une guerre sourde et ténébreuse, qui n’est qu’embûches et trahisons.


« On s’habitue aux supplices horribles. » Chap. xv.

Je ne crois pas cela. L’habitude de souffrir endurcit les âmes sans doute, et la dureté du gouvernement produit cet effet ; mais lorsque l’état d’innocence sera un état doux et tranquille, les peines réservées au crime effrayeront sans endurcir, et on ne se familiarisera point avec l’idée d’avoir les os brisés, et de