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eux, malgré eux, une sorte de respect qui les empêche d’être absurdes, quelquefois autant qu’ils auraient bonne envie de l’être ; mais je n’ignore pas que c’est à condition qu’il ne s’agira ni de leur prérogative, ni de leur puissance, ni de leur sécurité, ni de leur autorité, ni de leur salut. Osez, en quelque lieu du monde que ce soit, avancer quelque proposition contraire à ces objets qu’ils ont consacrés tant qu’ils ont pu dans les têtes des hommes, et vous verrez le traitement que l’on vous fera. Je sais que cette lumière générale tant vantée est une belle et glorieuse chimère dont les philosophes aiment à se bercer, mais qui disparaîtrait bientôt s’ils ouvraient l’histoire, et s’ils y voyaient à quoi les meilleures institutions sont dues. Les nations anciennes ont toujours passé, et toutes les nations modernes passeront avant que le philosophe et son influence sur les nations aient corrigé une seule administration ; et pour en venir à quelque chose qui vous soit propre, je sais bien que la différence de la monarchie et du despotisme consiste dans les mœurs, dans cette confiance générale que chacun a dans les prérogatives de son état respectif ; que quand cette confiance, qui fait les mœurs de cette monarchie, est forte et haute, le chef n’ose la braver entièrement ; que le sultan dit à Constantinople indistinctement de l’un de ses noirs, et d’un cadi qui commet une indiscrétion, qu’on lui coupe la tête ; et que la tête du cadi et celle de l’esclave tombent avec aussi peu de conséquence l’une que l’autre ; et qu’à Versailles on châtie très-diversement le valet et le duc indiscrets ; mais je n’ignore pas que le soutien général de ces sortes de mœurs tient à un autre ressort que les écrits des sages ; qu’il est même d’expérience, et d’expérience de tout temps, que les mœurs dont il s’agit sont tombées à mesure que les lumières générales se sont accrues. Je me chargerais même de démontrer que cela a dû arriver, et que cela arrivera toujours par la nature même d’un peuple qui s’éclaire. Je sais bien que quand ces sortes de mœurs, dont le monarque ressent et partage l’influence, ne sont plus, le peuple est au plus bas point de l’avilissement et de l’esclavage, parce qu’alors il n’y a plus qu’une condition, celle de l’esclave. Je sais bien que plus cette échelle d’états est longue et distincte, et plus chacun est ferme sur son échelon, plus le monarque diffère du despote, du tyran ; mais je défie et l’auteur des Délits et des Peines, et tous les